Commentaires du verset 92 de la Sourate 3 – La famille d’Imran

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Bismillâhir Rahmânil Rahîm

Traduction du verset:

« Vous ne parviendrez jamais au « birr » tant que vous ne dépenserez pas de ce que vous chérissez. Et tout ce dont vous dépensez, Allah le sait certainement bien. »

(Sourate 3 / Verset 92)

Introduction – Contexte:

Après avoir rappelé dans le verset précédant immédiatement celui-ci que, dans l’Au-delà, toutes les richesses du monde ne pourront être d’aucune utilité à ceux qui n’auront pas exprimé leur soumission face à l’autorité d’Allah (les kouffâr), Allah évoque dans ce présent verset que, pour les croyants, les choses sont bien différentes: A eux, les dons
(matériels ou non)
qu’ils font dans la voie du bien ou pour les nobles causes leur sont (et leur seront) toujours profitables et utiles.

Commentaires:

« Vous ne parviendrez jamais au « birr« … »

Le terme « birr » qui est employé ici a été interprété de différentes façons:

  • Selon certains (Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou), Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), Atâ r.a….), ce mot désigne le Paradis.
  • Selon d’autres, « al birr », c’est la bonne action, l’œuvre pie – « al ‘amalous sâlih ». Cette interprétation va dans le sens de ce qu’énonce le Hadith authentique: « Attachez vous à la vérité, car elle conduit vers la bonne œuvre (al birr), et celle-ci mène au Paradis. »
  • Selon d’autres encore, ce terme désigne la crainte révérencielle – « Taqwâ ».

Bref, quelque soit l’interprétation que l’on retient, ce qui ressort de ce passage, c’est que l’attitude qui va être mentionnée dans la suite du verset est hautement méritoire et elle constitue un des meilleurs moyens pour s’attirer l’agrément divin et pour se rapprocher d’Allah…

« … tant que vous ne dépenserez pas de ce que vous chérissez. »

L’expression « ce que vous chérissez » désigne bien évidemment les biens matériels, et plus particulièrement ceux auxquels l’homme est le plus attaché.

Cependant, il est possible de prendre cette expression avec une portée beaucoup plus large, comme l’ont fait certains savants, en y incluant tout ce qui peut être cher et avoir de la valeur pour l’être humain: Ses biens matériels et ses richesses, mais aussi ses désirs et plaisirs, son honneur, son temps, sa vie… Personne ne peut nier, en effet, qu’il est parfois bien plus difficile à l’homme de sacrifier son honneur ou son temps pour une cause juste, bonne et noble que de donner de ses biens. De même, celui qui maîtrise ses instincts et lutte contre les pulsions malsaines pour faire prévaloir la soumission au Créateur ne peut que parvenir à la proximité d’Allah. Les termes du Hadith Qudsiy faisant allusion au mérite du jeûne (qui n’est rien d’autre que le meilleur exercice spirituel de maîtrise de soi et de retenue uniquement pour l’agrément d’Allah) sont bien connus:

« Le jeûne est pour Moi, et Je le rétribuerai (Moi-même). »

« Et tout ce dont vous dépensez, Allah le sait certainement bien. »

Quelque soit le don que l’on consentira de faire dans la voie du bien, que l’objet offert soit quelque chose de cher ou non, que l’acte ait été sincère ou non, certes, Allah connaît parfaitement tout cela, et Il rétribuera (de façon positive ou non) en fonction de ces « paramètres ».

Enseignements liés à ce verset coranique:

  • Quand on considère les Traditions qui nous relatent la réaction des Compagnons (radhia Allâhou anhoum) suite à la révélation de ce verset, et qu’on fait le rapprochement avec le notre (après étude et compréhension du même verset), le « contraste » est édifiant: Sincèrement, à la seule lecture de ce qu’Allah énonce dans ce passage, avons-nous pris une quelconque décision pour offrir immédiatement en aumône quelque chose qui nous est cher ? Y avons-nous au moins pensé ?… Considérons les réponses que nous apporterons nous-mêmes à ces deux questions, et penchons-nous ensuite sur les trois récits suivants, que citent les savants en commentant ce verset du Qour’aane:
  • Anas (radhia Allâhou anhou) raconte: Abou Talha (radhia Allâhou anhou) était le plus riche des Ansâr. Le bien qui lui était le plus cher était  Bayrouhâ, (un jardin) qui était situé en face de la mosquée (du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm)). Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) avait l’habitude d’y aller et de boire de son eau qui était douce. Anas (radhia Allâhou anhou) poursuit :
    Lorsque le verset « Vous ne parviendrez jamais au « birr »tant que vous ne dépenserez pas de ce que vous chérissez » fut révélé, Abou Talha (radhia Allâhou anhou) (vint voir le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) et lui) dit :

« Ô Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam). Certes, mon bien le plus cher est Bayrouhâ. (Je l’offre en) Sadaqah pour Allah. J’espère sa récompense et sa rétribution auprès d’Allah. Utilises le donc, Ô Messager d’Allah, suivant ce qu’Allah t’inspire. » 

Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) dit:

« Bakh ! Bakh ! (Expression arabe employée pour exprimer la joie et le contentement.) Voilà un bien profitable ! J’ai entendu ce que tu as dis (j’ai compris ta volonté) et mon avis est que tu le dépenses sur ta famille. » 

Il répliqua: « Je ferai (ainsi) Ô Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam). » Abou Talha (radhia Allâhou anhou) le répartit alors en le donnant à ses proches et à ses cousins.

(Boukhâri, Mouslim, Abou Dâoûd, Tirmidhi…)

Dans la version rapportée par Mouslim, il est précisé que Abou Talha (radhia Allâhou anhou) offrit le jardin à Hassân Ibn Thâbit (radhia Allâhou anhou) et Oubayy Ibn Ka’b (radhia Allâhou anhou).

  • Abdoullâh Ibn Oumar (radhia Allâhou anhou) raconte: Le verset  « Vous ne parviendrez jamais au « birr »(…)«  me parvint… Je réfléchis alors aux bienfaits qu’Allah m’avait octroyé et je ne trouvai rien qui m’était plus cher que Mardjâna (une esclave byzantine qu’il possédait). Je dis: « Elle est libre pour le « wadjh »  (littéralement « visage ») d’Allah (pour le Plaisir d’Allah). Et s’il n’y (avait pas le fait que) je revienne sur quelque chose que j’ai fait don pour Allah, je l’aurai épousé (moi-même). » Ibn Oumar (radhia Allâhou anhou) la maria ensuite à Nâfi’ (radhia Allâhou anhou) (un esclave qu’il avait affranchi et auquel il était très attaché ). Et lorsque Ibn Oumar (radhia Allâhou anhou) quitta ce monde, il avait affranchi 1000 esclaves. (Mousnad Ibn Houmaïd et Mousnad Bazzâr)
  • Il est rapporté au sujet de Zayd Ibn Hâritha (radhia Allâhou anhou) qu’il possédait un cheval qu’on appelait « sabal »; il n’avait aucun autre bien qui lui était plus cher que celui-ci. Il dit: « Elle est (offerte) en aumône. » Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) l’accepta et l’offrit au fils (de Zayd (radhia Allâhou anhou)), Oussâma (radhia Allâhou anhou); (la réaction de Zayd (radhia Allâhou anhou) fut) comme s’il ressentait de la peine… (Etant donné que c’était son propre fils qui avait reçu ce qu’il avait donné en aumône, il craignait que son acte ne soit pas méritoire…) Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) dit: « Allah l’a certes déjà accepté de ta part. » (Ibn Abi Hâtim)
  • Lorsque le croyant dépense ce qui lui est cher pour la cause d’Allah, il est le premier à tirer profit de son acte: En effet, ce sacrifice de sa part lui permet d’obtenir l’agrément divin et de parvenir à la véritable Taqwâ. C’est justement cette dimension qui explique pourquoi, pour le musulman, le don pour la bonne cause doit toujours se faire de bon cœur et avec contentement.
  • La formulation de ce verset peut être compris comme contenant une exhortation implicite à la modération: En effet, l’expression « mâ touhibboûn » – (ce que vous chérissez) est introduite par la particule arabe « min », et cette dernière peut avoir pour fonction d’exprimer la partition (tab’îdh). Le sens du passage serait alors: « Vous ne parviendrez jamais au « birr » tant que vous ne dépenserez pas une partie de ce que vous chérissez. »
  • On remarque que, dans ce verset, l’exhortation porte sur le fait de dépenser ce à quoi on est attaché: Ce qui permet de comprendre que l’essentiel n’est pas forcément de donner un bien matériel qui a une valeur importante, mais plutôt ce qui est cher à nos yeux
  • Enfin, un enseignement très important que l’on doit retenir de ce passage coranique, c’est que le croyant ne peut raffermir le lien vertical avec Son Créateur qu’au travers le développement et la fortification du lien horizontal qui l’unit aux êtres humains qui l’entourent: Le rapprochement avec Dieu  (Taqwâ) passe par le rapprochement (par le biais de l’aide et la solidarité) avec les Hommes. Cela va un peu dans le sens de ce qu’énonce le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dans un Hadith authentique: « Allah assiste le serviteur, tant que celui-ci reste dans l’assistance de son frère. »

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !