Serons-nous fautifs si nous avons suivi l’avis d’un savant qui s’est trompé ?…

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Question: Cher frère,

J’aimerais avoir la réponse à une question que je me pose depuis un certain temps : Voilà, avant de prendre une décision, je me réfère au Quran el karim et à la Sunna. Seulement quand les textes ne sont pas clairs pour moi, je vais voir ce que les oulémas disent; mais comme il y a souvent divergences d’opinions, alors je me permets de prendre la décision du savant qui me semble la plus logique.
Ma question est la suivante : Comment serons-nous jugés devant Allah soubhanahou wa taâla si la décision du savant que nous avons suivi n’est finalement pas juste (si je peux me permettre).
De plus ce qui m’attriste, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes musulmanes qui dénigrent certains savants allant même jusqu’à les insulter. Que devons-nous penser de tout cela? En est-on arrivé à une époque où les gens ne respectent plus personne, pas même nos éminent savants sur qui nous nous reposons ?… Peut-être, pourriez-vous m’éclairer sur le sujet afin que mes idées se remettent en place, car, par moment, j’avoue que je suis perturbée… (…)

Eléments de réponse: Chère soeur,

Lorsqu’on est confronté à une divergence d’opinions entre savants, notre devoir, en principe, consiste à suivre l’avis qui semble être le plus juste, en ce sens que les arguments qui le soutiennent apparaissent comme étant les plus fiables. A partir de là, dans la pratique, parmi ceux qui ne sont pas savants ou qui n’ont pas les aptitudes requises pour élaborer d’eux mêmes des avis juridiques à partir des références premières, on trouve généralement deux types d’attitudes pour ce qui est de la « concrétisation » du principe sus-cité:

  • Certains musulmans -ceux qui ne sont pas familiarisés avec les sciences islamiques et qui ne connaissent que l’essentiel en matière de règlements religieux- se fient à l’avis d’un savant (ou d’un groupe de savants qui partagent la même approche juridique – « madhhab »)précis -comme Abou Hanîfah r.a., Mâlik r.a. etc…-. Bien entendu, il ne s’agit nullement pour eux de considérer le savant dont ils suivent l’avis comme étant un législateur à part entière (« Châri' »), en lui reconnaissant le droit de rendre licite ou illicite des choses – ce qui, en soi, serait une forme de « Chirk », d’association à Allah. En fait, s’ils ont fait le choix de suivre ce savant précis, c’est tout simplement parce qu’ils ont confiance en lui et en ses compétences, et ils considèrent que l’avis juridique qu’il prononce et l’interprétation des textes qu’il présente sont, Incha Allah, les plus fiables et les plus corrects. Néanmoins, ils reconnaissent tout à fait que leur savant de référence peut se tromper, étant donné que personne, à part les Prophètes (alayhimous salâm), n’est infaillible. Bref, l’intention première de ces gens est bel et bien de rester le plus fidèle possible aux sources. Leur attitude n’a donc rien de condamnable. C’est que fait ressortir Châh Walioullâh r.a., un illustre savant indien, dans certains de ses écrits. Dans un de ses ouvrages -« Houdjat oullâhil bâlighah »- , il écrit en substance : « On ne peut adresser aucun reproche à celui qui ne considère permis que ce qu’Allah et Son Messager ont déclaré permis, et interdit que ce qu’Allah et Son Messager ont déclaré interdit, mais qui, manquant de connaissances pour connaître les nombreux Hadiths du Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam), pour savoir comment concilier les Hadiths qui sont en apparente contradiction, et pour savoir comment retirer des textes du Qour’aane et des Hadiths les principes à appliquer dans les nouvelles questions, suit un savant qu’il considère comme étant très compétent. Dans ce suivi (cependant), il garde l’intention d’adhérer au Qour’aane et aux Hadiths et de délaisser l’avis de ce savant sans dénigrement s’il apparaît de façon sûre que cet avis contredit un Hadith authentique et clair du Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam). »
  • D’autres musulmans, qui ont étudié longuement les sciences islamiques, qui ont ainsi une très bonne maîtrise dans les domaines de la connaissance religieuse et qui sont donc capables d’analyser les argumentations des différents savants, ne se limitent pas à un simple suivi basé « sur la confiance », comme c’est le cas pour le premier groupe… Eux se permettent de comparer les différentes argumentations entre elles, et, après des recherches poussées, suivent l’avis qui leur semble être le plus juste et le plus en conformité avec le Qour’aane et la Sounnah. Mais là également, il reste tout à fait possible qu’ils se trompent dans leur analyse et que l’avis qu’ils considèrent comme étant le plus juste ne le soit pas réellement.

Après ces quelques précisions – qui me paraissaient nécessaires wa Allâhou a’lam ! – , j’en viens à votre question principale concernant une éventuelle responsabilité de notre part si le savant dont nous avons décidé de suivre l’avis s’est trompé…

A ce sujet, étant donné que notre devoir -lorsqu’on n’est pas savant- consiste bien à se référer aux oulémas, suivant le sens général de l’injonction coranique (« Demandez aux gens du rappel si vous ne savez pas »), et étant donné que nous savons pertinemment que les savants, quels qu’ils soient, ne sont pas infaillibles, il est évident que le fait de suivre leur avis implique la possibilité qu’à un moment ou un autre, on adhère à un avis qui n’est pas correct. Néanmoins, à partir du moment où le choix dudit avis s’est fait de notre part sur les critères corrects -en ce sens qu’il repose sur la confiance dans les compétences d’un ou des savants concernés (si on fait partie du premier groupe décrit précédemment), ou repose sur les résultats de notre analyse personnelle, si on en est capable (suivant ce qui a été détaillé plus haut), Incha Allah, on ne sera nullement fautif dans ce choix. Allah n’impose à personne ce qui est au dessus de ses capacités, et ici, on aura agi justement dans les limites de nos capacités. Wa Allâhou A’lam !

Mais il est très important de souligner que, quelque soit l’avis qui aura notre préférence, il ne nous appartient pas de dénigrer (« Ta’n ») le ou les savants dont on n’a pas accepté l’opinion. Si vous revenez à la fin du passage cité plus haut et extrait des écrits de Châh Walioullâh r.a., vous verrez qu’il mentionne explicitement cela. Ainsi, vous avez donc bien raison de dénoncer cette attitude qui consiste à dénigrer les savants « qui ne pensent pas comme nous » ou « dont les avis ne s’accordent pas avec ceux de nos savants de références »… Personnellement, je crois que l’adoption d’une telle conduite est essentiellement lié au manque de connaissance: En effet, il arrive par exemple qu’une personne, parfois, se permette de dénigrer en des termes très durs un savant contemporain pour un avis qu’il a eu sur une question juridique, et ce, parce ledit avis n’est pas conforme à ce que pense « ses » savants de référence… Mais ce dont cette personne ignore, c’est que l’avis du savant contemporain qu’il dénigre repose également sur des arguments très fiables et explicites tirés du Qour’aane et de la Sounnah, ou encore que cet avis est exactement le même que celui d’un illustre savant Moudjtahid des premiers siècles de l’Islam (tel que l’Imâm Ahmad r.a. ou l’Imâm Abou Hanîfah r.a., ou autre…)… En d’autres mots, en s’attaquant au savant contemporain, c’est indirectement à certaines références du Qour’aane et de la Sounnah ou à des illustres Moudjtahidine des siècles précédents qu’il est en train de s’en prendre…

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !