Quelques enseignements à retenir de l’histoire de Qâroûn…

image_pdfimage_print

Discours prononcé à la mosquée de Saint-Pierre quelques jours après la publication des résultats du baccalauréat, au cours du mois de Juillet 2006

Bismillâhir Rahmânil Rahîm

Chers frères,

Je vous propose d’initier notre présente intervention par un récit relaté dans le Saint Qour’aane… Il s’agit de l’histoire de Qâroûn, un contemporain de Moûssa (alayhis salâm). Il avait reçu de la part d’Allah une richesse considérable… Le Qour’aane nous informe en ces termes de l’attitude qu’il adopta par rapport à ces faveurs qui lui avaient été accordées:

إِنَّ قَارُونَ كَانَ مِنْ قَوْمِ مُوسَى فَبَغَى عَلَيْهِمْ وَآَتَيْنَاهُ مِنَ الْكُنُوزِ مَا إِنَّ مَفَاتِحَهُ لَتَنُوءُ بِالْعُصْبَةِ أُولِي الْقُوَّةِ إِذْ قَالَ لَهُ قَوْمُهُ لَا تَفْرَحْ إِنَّ اللَّهَ لَا يُحِبُّ الْفَرِحِينَ وَابْتَغِ فِيمَا آَتَاكَ اللَّهُ الدَّارَ الْآَخِرَةَ وَلَا تَنْسَ نَصِيبَكَ مِنَ الدُّنْيَا وَأَحْسِنْ كَمَا أَحْسَنَ اللَّهُ إِلَيْكَ وَلَا تَبْغِ الْفَسَادَ فِي الْأَرْضِ إِنَّ اللَّهَ لَا يُحِبُّ الْمُفْسِدِينَ

En vérité, Coré [Qâroûn] appartenait au peuple de Moïse; mais ses abus envers les siens étaient considérables. Nous lui avions donné des trésors (en si grand nombre que) leurs clefs étaient trop lourdes à (porter pour) toute une bande de gens forts. Son peuple (,en s’efforçant de le raisonner,) lui disait : « Ne te réjouis pas trop ! Allah n’aime pas ceux qui sont arrogants. Recherche (plutôt), à travers ce qu’Allah t’a donné, la demeure dernière. Et ne renonce pas (pour autant) à ta part (de bonheur) en cette vie. Sois bon (envers les autres) comme Allah a été bon envers toi. Et ne favorise pas la corruption sur terre, car Allah n’aime point les corrupteurs. »

قَالَ إِنَّمَا أُوتِيتُهُ عَلَى عِلْمٍ عِنْدِي أَوَلَمْ يَعْلَمْ أَنَّ اللَّهَ قَدْ أَهْلَكَ مِنْ قَبْلِهِ مِنَ الْقُرُونِ مَنْ هُوَ أَشَدُّ مِنْهُ قُوَّةً وَأَكْثَرُ جَمْعًا وَلَا يُسْأَلُ عَنْ ذُنُوبِهِمُ الْمُجْرِمُونَ

(A ces conseils avisés,) il répondait : « C’est uniquement à la science que je possède que je dois ce que j’ai. » (Lui qui est si fier de ses compétences et qui croit ainsi que sa domination est légitime) ne sait-il pas qu’avant lui, Allah a périr des générations supérieures à lui en force et nombre ? Et les criminels ne seront pas interrogés sur leurs péchés (dans le but de vérifier leur réalité) !

فَخَرَجَ عَلَى قَوْمِهِ فِي زِينَتِهِ قَالَ الَّذِينَ يُرِيدُونَ الْحَيَاةَ الدُّنْيَا يَا لَيْتَ لَنَا مِثْلَ مَا أُوتِيَ قَارُونُ إِنَّهُ لَذُو حَظٍّ عَظِيمٍ وَقَالَ الَّذِينَ أُوتُوا الْعِلْمَ وَيْلَكُمْ ثَوَابُ اللَّهِ خَيْرٌ لِمَنْ آَمَنَ وَعَمِلَ صَالِحًا وَلَا يُلَقَّاهَا إِلَّا الصَّابِرُونَ

(Un jour) il se présenta à son peuple dans tout son apparat. Ceux qui aimaient (exclusivement) la vie présente dirent : « Si seulement nous possédions des richesses similaires à celles de Coré. Il est certes très chanceux ! » Ceux qui avaient reçu la science leurs dirent (alors): « Malheur à vous ! La récompense d’Allah est bien meilleure pour celui qui croit et fait le bien. Mais elle ne sera reçue que par ceux qui font preuve de patience. »

فَخَسَفْنَا بِهِ وَبِدَارِهِ الْأَرْضَ فَمَا كَانَ لَهُ مِنْ فِئَةٍ يَنْصُرُونَهُ مِنْ دُونِ اللَّهِ وَمَا كَانَ مِنَ الْمُنْتَصِرِينَ وَأَصْبَحَ الَّذِينَ تَمَنَّوْا مَكَانَهُ بِالْأَمْسِ يَقُولُونَ وَيْكَأَنَّ اللَّهَ يَبْسُطُ الرِّزْقَ لِمَنْ يَشَاءُ مِنْ عِبَادِهِ وَيَقْدِرُ لَوْلَا أَنْ مَنَّ اللَّهُ عَلَيْنَا لَخَسَفَ بِنَا وَيْكَأَنَّهُ لَا يُفْلِحُ الْكَافِرُونَ

Nous le fîmes, lui et son palais, engloutir par la terre. Sa suite ne put lui être d’aucun secours face à Allah, et il ne pût non plus se secourir lui-même.

Et ceux qui, la veille, souhaitaient être à sa place, se mirent à dire le lendemain : « Ah ! Il est vrai qu’Allah accorde largement Ses richesses à qui Il veut, parmi Ses serviteurs, ou les restreint à qui Il veut. Si Allah ne s’était pas montré bienveillant à notre égard, Il nous aurait certainement fait engloutir (aussi). Ah ! Il est vrai que ceux qui ne croient pas ne peuvent réussir. »

تِلْكَ الدَّارُ الْآَخِرَةُ نَجْعَلُهَا لِلَّذِينَ لَا يُرِيدُونَ عُلُوًّا فِي الْأَرْضِ وَلَا فَسَادًا وَالْعَاقِبَةُ لِلْمُتَّقِينَ

Cette demeure dernière, Nous la réservons à ceux qui ne recherchent ni à s’élever sur terre, ni à y semer ma corruption. Et l’heureuse fin n’appartient qu’aux pieux.

A l’instar de tous les autres récits coraniques, celui de Qâroûn est porteur de bon nombre d’enseignements pour nous autres interlocuteurs de la Révélation. Nous allons nous efforcer d’en souligner quelques uns.

Mes frères,

Durant notre existence, il nous arrive souvent d’être gratifiés d’avantages matériels (comme la santé, l’argent, le pouvoir, la force, l’intelligence, le savoir faire, la notoriété, la réussite scolaire ou sociale, etc…) de la part d’Allah. Et il arrive aussi que, certaines fois, nous soyons privés de ce genre de faveurs et que ces derniers soient accordés à d’autres. Le passage coranique cité contient de précieuses orientations concernant l’attitude à adopter dans chaque cas de figure.

Par rapport à la première situation, voici ce qu’on peut souligner :

1°) Il faut toujours garder à l’esprit la provenance des avantages dont on peut jouir.

Tout ce qu’on peut obtenir comme faveur matérielle ici-bas, toutes ces choses qui nous apportent joie, bonheur et plaisir dans la vie présente ne dépendent, au fond, que de la volonté divine, et ce, même si, dans ce monde, l’obtention de ces bienfaits peut être rattachée à diverses causes apparentes… Allah rappelle clairement cette réalité en affirmant au sujet de Qâroûn : « Nous lui avions donné des trésors (…) »

Pour le croyant, le fait d’entretenir constamment cette mémoire est essentielle pour la simple raison que c’est le meilleur moyen pour lui d’éviter de sombrer, comme Qâroûn, dans la fierté, l’arrogance, la suffisance et l’orgueil, ces fléaux qui l’ont justement conduit à sa perte… et qui, bien avant lui, avaient déjà poussé chaytân à se rebeller contre l’autorité divine et à s’attirer la malédiction d’Allah. C’est cette conscience qui, ensuite, permet de toujours faire preuve de reconnaissance et de protéger ainsi ses acquis.

En effet, tout comme Dieu a octroyé ces choses, Il peut tout à fait les reprendre quand Il le veut… ou priver celui/celle qui les possède de l’opportunité d’en tirer profit. L’exemple de Qâroûn témoigne encore clairement de cette réalité.

2°) Il ne faut jamais perdre de vue les priorités.

En exhortant Qâroûn à abandonner les dérives dont il se montrait coupable, les siens lui dirent : « Recherche à travers ce qu’Allah t’a donné, la demeure dernière. »

L’obtention de faveurs matérielles ne constitue pas une finalité en soi pour le croyant : Ces avantages ne sont que des moyens mis à notre disposition pour nous faciliter la réalisation de notre but principal, à savoir la construction et l’aménagement de notre demeure éternelle. Comme le rappellent souvent les oulémas, Ad dounyâ mazra’at oul âkhirah, ce monde est la terre où sont cultivés les éléments profitables dans l’Autre monde. Et ce serait une erreur monumentale de notre part que de confondre moyens et objectifs et de se focaliser sur les premiers au détriment des derniers… Notre attitude serait alors comparable à celui qui doit bâtir sa maison mais qui s’efforce uniquement de choisir des matériaux pour ce chantier et ne fait strictement rien pour la réalisation de l’édifice lui-même.

Bien évidemment, cela ne signifie pas que le musulman n’a pas le droit de jouir des choses de ce monde et que sa foi et son engagement religieux lui imposent un renoncement total de ces plaisirs éphémères. Tirer profit des bienfaits matériels est un droit légitime de chacun (comme l’indique bien les propos suivants de ceux qui conseillèrent Qâroûn : « Et ne renonce pas (pour autant) à ta part (de bonheur) en cette vie. »), pour peu que cela se fasse dans le respect des limites fixées par Allah.

3°) Il faut constamment garder une attitude responsable dans la gestion de ses avantages matériels.

Contrairement à Qaroûn, le croyant ne doit surtout pas utiliser les avantages qu’Allah lui a octroyés (comme ses relations, ses moyens, son intelligence, son éloquence,…) pour causer du tort à autrui et, d’une façon générale, pour répandre le mal autour de lui. Au contraire, il doit toujours s’efforcer d’employer ces faveurs pour venir en aide aux autres et faire preuve de bonté envers eux, exactement comme Allah a été bienfaisant envers lui, ici bas. Ce serait en effet le comble de l’ingratitude que d’utiliser les bienfaits offerts par Allah pour Le désobéir. C’est ce que rappellent à Qâroûn les siens en ces termes : « Sois bon (envers les autres) comme Allah a été bon envers toi. Et ne favorise pas la corruption sur terre. Car Allah n’aime point les corrupteurs. »

Et n’oublions pas que, le Jour Final, nous serons tous questionnés sur le moindre bienfait que nous avons pu jouir dans ce monde, même s’il ne s’agit que d’un verre d’eau fraîche…

4°) Il ne faut pas considérer l’obtention d’un bienfait comme un signe d’agrément de la part d’Allah.

L’exemple de Qâroûn illustre bien que, ici-bas, Allah peut accorder des avantages matériels à tous sans distinction, même à Ses pires ennemis -ces dons constituent d’ailleurs la plupart du temps des moyens pour éprouver ceux qui les reçoivent… : Il ne faut donc pas se laisser tromper… Notre valeur aux yeux d’Allah dépend de nos actes et de notre piété, et non pas de ce que nous avons et ce qu’Il nous a attribué.

Par contre, dans l’Au-delà, les choses seront bien différentes… Là bas, seuls ceux qui le méritent obtiendront Sa grâce et Ses faveurs. Le Qour’aane nous le rappelle en affirmant : « Cette demeure dernière, Nous la réservons à ceux qui ne recherchent ni à s’élever sur terre, ni à y semer ma corruption. Et l’heureuse fin n’appartient qu’aux pieux. »

Je me permets ici d’ouvrir une parenthèse pour m’adresser à mes frères et sœurs qui viennent tout juste d’obtenir une faveur de la part d’Allah et qui ont été admis à leurs examens : Je vous présente toutes mes félicitations. Et je vous demande de garder à l’esprit les orientations qui viennent d’être mentionnées. N’oubliez pas que cette réussite, au fond, vous la devez à Allah. Vous avez donc envers Lui une dette de reconnaissance, et, dans ces conditions, la pire chose que vous pourriez faire, c’est de fêter ce diplôme en se laissant aller au harâm. Je prie Allah pour qu’Il vous aide pour tout ce que vous allez entreprendre. Mais, là encore, n’omettez jamais vos priorités de musulman : L’entretien de votre spiritualité et la construction de votre vie après la mort. Enfin, employez toujours vos compétences et vos connaissances au service du bien, pour venir en aide à vos semblables, et ne les utilisez jamais pour répandre la corruption et contribuer à la réalisation du mal et des péchés.

Pour revenir au passage coranique évoquant l’histoire de Qâroûn, on peut souligner les points suivants concernant les cas où nous sommes privés de faveurs matérielles de la part d’Allah et celles-ci soient accordées à d’autres. :

5°) Il faut garder à l’esprit la nature et la réalité profonde des choses de ce monde.

Tout ce que de dounyâ peut contenir comme faveur matérielle ne peut, en aucune façon, rivaliser ou être comparé à la rétribution divine qui est promise dans l’Au-delà. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) l’a clairement dit : Il y aura dans le Paradis des choses que nul œil n’aura vu, nulle oreille n’aura entendu et aucun esprit n’aura imaginé… Et c’est là aussi ce qui avait été rappelé aux matérialistes qui enviaient la condition de Qâroûn : « La récompense d’Allah est bien meilleure pour celui qui croit et fait le bien. »

Le fait que l’on soit privé temporairement d’une faveur nous affecte ou nous afflige temporairement est compréhensible… Mais on doit apprendre à maîtriser cette frustration et à la surmonter en faisant preuve de sabr et de patience (notamment face à la tentation de l’illicite…), et ce, en se rappelant justement que ce dont nous avons été privé est, de toute façon éphémère et que le plus important et le plus précieux reste encore à venir. C’est là d’ailleurs un moyen efficace pour éviter de jalouser et d’envier ceux qui ont été plus gratifiés que nous.

6°) Il faut être convaincu de la réalité de la Sagesse Divine.

Le choix du Créateur de priver parfois certains de Ses serviteurs d’avantages matériel est toujours, dans l’absolu, plein de sagesse et contribue à la réalisation d’un objectif positif, et ce, même si l’Homme n’arrive pas à cerner cette réalité dans l’immédiat. L’attitude des matérialistes qui côtoyaient Qâroûn le montre bien : Eux qui, la veille, enviaient celui-ci se sont mis à remercier Allah le lendemain après avoir été témoin du sort qui lui a été finalement réservé.

7°) Il ne faut pas oublier que la privation n’est pas un signe de rejet de la part d’Allah.

Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a affirmé en ce sens dans un Hadith que les êtres les plus proches d’Allah comptent parmi ceux qui ont connu le plus d’épreuves physiques et matérielles dans ce monde… S’il arrive que nous soyons privés d’un bienfait ici bas, cela ne prouve donc en aucune façon qu’Allah ne nous aime pas. Et cela ne doit surtout pas non plus nous pousser à remettre en question le bien et les bonnes actions que nous nous efforçons de faire avec sincérité.

Qu’Allah nous accorde à tous l’opportunité de retenir les leçons de l’Histoire, et de toujours accepter et gérer avec sérénité et intelligence ce qu’Il nous donne… et ce qu’Il ne nous donne pas.

Âmîn !