Les pauvres privilégiés dans l’Au-delà ?…

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Question: J’ai lu récemment un Hadith, rapporté par Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou), qui dit en ce sens que les pauvres entreront au paradis cinq cents années avant les riches. Par rapport à cette Tradition, il y a deux questions que je me pose:

  • Doit-on comprendre de cette référence qu’en Islam, la pauvreté est systématiquement plus appréciée que la richesse ?
  • Comment expliquer cet énorme laps de temps séparant l’accès des croyants pauvres et celui des croyants riches au Paradis ?

Par ailleurs, j’ai également lu un autre Hadith dans lequel le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dit (en substance): « Je me tins à la porte du Paradis et je remarquai que les pauvres (masâkîn) forment la majorité de ses élus; quant aux fortunés, ils furent retenus à la porte, sauf ceux qui sont destinés à l’Enfer parmi eux, l’ordre était donné de les y précipiter. (…) » ; j’aimerai bien avoir quelques explications concernant le sens de cette Tradition.

Réponse: La question de savoir qui, d’entre le pauvre qui fait preuve de patience (« Al Faqîr ous Sâbir ») et la personne fortunée qui est reconnaissante (« Al Ghaniy ouch châkir »), est le plus méritant aux yeux d’Allah a, depuis toujours, alimenté d’interminables discussions entre les savants (et ce, depuis les premières générations de musulmans, les « Aslâf ous Sâlihine », comme le rappelle An Nawawi r.a. dans son commentaire du Sahîh Mouslim- Hadith N°936)… Ibné Hadjar r.a. a évoqué assez longuement cette question dans son « Fath oul Bâriy » (Voir commentaires du Hadith N°71 du Sahîh Boukhâri, ainsi que Volume 11, pages 274 à 277) :

– Certains savants soutiennent que le riche qui est reconnaissant envers Allah, et qui s’acquitte de tous ses devoirs et responsabilités, a plus de mérite. (Selon Ibné Hadjar r.a., cet avis est celui qui a été adopté par beaucoup de savants châféites)

– D’autres savants soutiennent que c’est le pauvre qui fait preuve de « Sabr »(patience), et qui ne manque pas non plus à ses devoirs et responsabilités, qui est plus méritant… (Cet avis est celui qui a, notamment, la préférence de la majorité de ceux qui accordent une attention particulière au « Tazkiyat oun Nafs » / « Tasawwouf » (soufisme), comme le souligne Ibné Daqîq oul Îde r.a. (ses propos sont cités par Ibné Hadjar r.a.))

Chaque groupe de savants avance différents arguments (versets du Qour’aane, Hadiths, Sîrah du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) et des Compagnons (radhia Allâhou anhoum)) pour appuyer leur point de vue. Il existe en effet des références qui vont dans les deux sens:

– D’après certains Hadiths (comme celui que vous avez cité), c’est surtout le mérite du pauvre (qui ne manque pas à ses devoirs, bien entendu) qui est mis en valeur…

– D’autres Hadiths mettent l’emphase sur le mérite de celui qui est riche (là encore, il s’agit de celui qui agit en bien et ne manque pas à ses devoirs). C’est le cas par exemple de cette Tradition authentique rapportée par Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou) et qui relate que les pauvres d’entre les Emigrés (Mouhâdjiroûn) allèrent trouver le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) et lui dirent: « Les gens opulents, grâce à leur fortune, accapareront les degrés les plus élevés du Paradis et ses félicités éternelles« .« Comment cela ? », répliqua le Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam). – « Ils prient et jeûnent comme nous et, en plus, ils ont l’apanage de faire l’aumône et d’affranchir les esclaves ». – « Eh bien !, répondit le Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam), ne vous enseignerai-je pas une chose qui, si vous la pratiquez, vous permettra de rejoindre ceux qui semblent avoir pris de l’avance sur vous et de dépasser (en mérite) ceux qui viendront après vous. Personne ne sera alors meilleur que vous, hormis ceux qui feront comme vous ». « Si, Ô Envoyé d’Allah », dirent-ils – « A l’issue de chaque prière, glorifiez Allah (« soubhânallâh »), célébrez Sa grandeur (« allâhou akbar ») et faites Sa louange (« al hamdoulillâh ») trente-trois fois ». (Abou Sâlih r.a., qui rapporte le Hadith de Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou) ajoute:) Les Mouhâdjiroûn revinrent auprès du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) (quelques temps plus tard)et dirent: « Nos frères fortunés ont appris ce que nous faisons et ils ont commencé à agir de même ». Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) leur répondit: « C’est là la grâce d’Allah, qu’il attribue à qui Il veut. » (Boukhâri et Mouslim) Dans cette Tradition, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) qualifie la richesse de certains Compagnons (radhia Allâhou anhoum) comme étant un « Fadhl », une faveur et une grâce venant d’Allah, qu’Il accorde à qui Il veut. En effet, celui qui a obtenu des richesses de la part d’Allah peut utiliser ses biens pour se rapprocher de Son Créateur, en s’acquittant par exemple de la Zakâh, en faisant des aumônes, en venant en aide aux nécessiteux etc…

C’est justement en raison de ces deux types de références qu’il n’a jamais été possible de trancher définitivement cette question dans un sens ou dans l’autre…

En tous les cas, une chose est sûre: Allah ne lésera personne le Jour Final. L’essentiel, à notre niveau, n’est pas vraiment de savoir qui, d’entre le pauvre qui fait preuve de patience et le riche qui est reconnaissant, est le plus méritant… Ce qui importe réellement, c’est de bien comprendre la nature de notre responsabilité, qui est relativement simple et claire:

– Si Allah nous a donné des biens, faisons preuve de reconnaissance et utilisons ces richesses de la façon qu’il nous a été (re-)commandé de le faire…

– Et si Allah a décidé que nous vivions dans de modestes conditions matérielles, gardons à l’esprit que cela est certainement meilleur pour nous (dans la pratique, la richesse se révèle en effet, très souvent, être une épreuve (« Fitnah ») difficile à surmonter, éloignant d’Allah et poussant à l’oubli…), soyons toujours reconnaissant en gardant un œil sur ceux qui ont été encore moins favorisés que nous, faisons preuve de « Sabr » (patience), plaçons en Allah notre confiance et adressons-Lui toutes nos requêtes…

En ce qui concerne la raison pour laquelle les pauvres entreront bien avant les riches au Paradis, Moufti Taqi Ousmâni écrit, dans un de ses ouvrages, que cela s’explique par le fait que les riches seront retenus en arrière par leur Jugement qui sera plus long que celui des pauvres, qui ne possédaient pas autant de biens qu’eux (n’oublions pas que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit en substance dans un Hadith, en commentant le dernier verset de la Sourate At Takâthour, qu’Allah demandera des comptes pour toute chose, même pour le verre d’eau fraîche qui nous aura été donné dans ce monde…).

Enfin, par rapport au second Hadith que vous citez et qui évoque le fait que la majorité des gens au Paradis seront des « Masâkîn« , ce qu’il convient de bien cerner, c’est justement le sens de ce terme employé par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)… Il est vrai que, généralement, le mot arabe « Masâkîn » (pluriel de « Miskîne ») est traduit par « pauvre ». Mais, comme le rappelle Moufti Taqui Ousmâni toujours, ce n’est pas le seul sens qu’il possède… « Miskîne » désigne aussi celui qui est humble. Et Moufti Taqui avance qu’il est fort possible que le terme « Miskîne » dans ce Hadith soit pris avec ce deuxième sens également; ce qui fait que ces propos du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) indiquaient alors que la majorité des gens du Paradis seront ceux qui étaient pauvres et humbles dans ce monde, mais également ceux qui, tout en étant riches, n’ont jamais fait preuve d’orgueil: Au contraire, leur richesse ne les a pas empêché de rester humbles et proches des plus démunis (Réf: « Islâhi Khoutoubât » – Volume 2 / Page 210).

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !