Discours prononcé à l’occasion de l’Ide oul Fitr 1423

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Un des aspects extraordinaires du texte coranique tient dans l’expression, par l’intermédiaire de formules et de phrases relativement courtes, d’une très grande richesse de sens. Le verset qui va être cité ci-dessous en constitue une excellente manifestation: En quelques mots, Allah y résume et synthétise les aspects marquant de l’ensemble de l’existence humaine, telle qu’elle est vécue par ceux qui n’ont pas pleinement saisi le sens de leur mission sur cette terre.

Jugez-en par vous-mêmes:

اعْلَمُوا أَنَّمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا لَعِبٌ وَلَهْوٌ وَزِينَةٌ وَتَفَاخُرٌ بَيْنَكُمْ وَتَكَاثُرٌ فِي الْأَمْوَالِ وَالْأَوْلَادِ كَمَثَلِ غَيْثٍ أَعْجَبَ الْكُفَّارَ نَبَاتُهُ ثُمَّ يَهِيجُ فَتَرَاهُ مُصْفَرّاً ثُمَّ يَكُونُ حُطَاماً وَفِي الْآخِرَةِ عَذَابٌ شَدِيدٌ وَمَغْفِرَةٌ مِّنَ اللَّهِ وَرِضْوَانٌ وَمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا إِلَّا مَتَاعُ الْغُرُورِ

Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre vous et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants.

Il y a dans ce verset cinq expressions arabe qui sont citées successivement; chacune d’entre elles fait allusion à un aspect marquant d’une phase bien définie de la vie de l’homme.

Il y a d’abord le terme « laïb »; selon Moufti Chafi’ r.a. du Pakistan, ce mot désigne le jeu au travers duquel on ne recherche aucun profit particulier si ce n’est le divertissement et la distraction. Durant l’enfance, l’activité du petit ou de la petite se résume essentiellement à cela.

Puis, lorsque l’enfant grandit un peu et atteint un âge où sa compréhension est un peu plus développée, il s’intéresse à une autre forme d’activités ludiques: Ce qui l’attire alors, ce sont les jeux dont le but premier reste l’amusement , mais qui impliquent malgré tout, de façon secondaire, d’autres profits -d’ordre physique, intellectuel ou autres…, comme par exemple le football, les sports de combat, les jeux de société etc… En arabe, selon Moufti Chafi’ r.a. toujours, ce genre d’amusements est appelé « lahw« ; et c’est justement ce qui est mentionné en second dans le verset.

Le troisième terme présent dans la phrase coranique est « zînah« : Celui-ci désigne l’embellissement en général, qu’il s’agisse de la parure physique, vestimentaire, ou celle qui recherchée par le biais des objets matériels que l’on possède (moyens de locomotion,…) Vous conviendrez avec moi que ce souci d’embellissement et de se parer constitue justement l’un des traits caractéristiques de l’adolescence et de la jeunesse, une troisième phase importante de l’existence humaine.

Passé cette période, le centre d’intérêt de l’homme change encore une fois: Parvenu à l’âge adulte, ses actes sont motivés essentiellement par le désir de se faire remarquer dans la société, que ce soit par ses biens matériel, sa position sociale, sa notoriété… : D’où un certain orgueil qui de développe et qui imprègne son attitude par rapport à ce qu’il peut être aux yeux des gens, à ce qu’il peut exercer comme métier, à ce qu’il peut posséder comme richesse… C’est ce à quoi le verset ensuite allusion par l’expression « tafâkhour baynakoum ».

Enfin, lorsqu’il avance encore en âge, l’être humain développe une autre attitude: « at takâthour fil amwâl wal awlâd », c’est-à-dire la rivalité dans l’acquisition des biens et des enfants. En d’autre mots, au cours de cette phase ultime de sa vie, le désir qui l’anime à présent est surtout celui de posséder le plus de richesses et la plus importante descendance, et ce, afin de pouvoir exprimer sa fierté par rapport à ce qui représente en quelque sorte le bilan de son existence.

Après avoir interpellé le lecteur vers ces différents aspects qui caractérisent souvent les étapes de l’existence humaine sur terre, Allah énonce une comparaison afin d’exposer clairement ce à quoi ressemble finalement ce genre de vie. Il dit:

كَمَثَلِ غَيْثٍ أَعْجَبَ الْكُفَّارَ نَبَاتُهُ ثُمَّ يَهِيجُ فَتَرَاهُ مُصْفَرّاً ثُمَّ يَكُونُ حُطَاما

Elle est en cela pareille à une pluie : la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie; ensuite elle devient des débris.

L’être humain qui n’utilise pas le temps qui lui a été imparti pour le passer dans la servitude du Créateur est comparable à de la végétation: Si à un moment donné, nourrie pas la pluie, cette dernière est verdoyante, plait au regard et au cœur, tout un chacun sait pertinemment ce qui va se passer très rapidement… Elle va commencer à se faner, à jaunir… A la fin, ne subsisteront d’elle que des débris. Il en est de même pour l’homme: Pendant les premières phases de son existence, lorsque ses facultés physiques et intellectuelles sont encore intenses, il profite de sa vie et de son énergie pour satisfaire des désirs et des plaisirs, qui, comme on l’a vu, avec le temps, ne cessent de varier: Distraction, divertissement, embellissement, volonté de se distinguer matériellement et socialement… En apparence, là aussi, durant toutes ces années, l’apparence de cet être humain a tout pour plaire et séduire. Pourtant, ce temps qui passe ne cesse de le rapprocher de sa fin qui inéluctable: Rapidement, à l’instar de la végétation, il va commencer à perdre de sa superbe et de sa fraîcheur, il va se faner… Après quoi, lorsqu’il s’éteindra, ne subsisteront de lui rien d’autre que des débris osseux et de la terre… Voilà à quoi se résume pour l’individu une existence passée dans l’inconscience par rapport au but réel de sa vie.

Mais revenons un peu sur les différentes étapes de la vie qu’Allah a cité au début du verset. Quand on y réfléchit plus profondément, on constate que les aspects énoncés, en sus d’exprimer le caractère éphémère et vil d’une existence qui n’est pas vécue comme elle se doit, nous interpelle également vers une autre réalité:

Celle de la limite de la vision humaine, de son jugement et de son appréciation par rapport à ce qu’il prend comme centre d’intérêt.

Il y a en effet un point important à souligner par rapport à chacune des attitudes mentionnées:

Celles-ci constituent pour l’être humain, à un moment donné de sa vie, une priorité, un objectif essentiel. En d’autres mots, pendant des années, chacun des aspects mis en valeur va constituer le principal centre d’intérêt de l’individu; à ses yeux, ce sera pratiquement la seule chose qui aura de l’importance et de la valeur, ce qui fait que ses initiatives personnelles seront essentiellement motivées par ces éléments. Et même si, durant une phase donnée, une personne de plus âgée et de plus expérimentée vient l’interpeller sur la nécessité d’une réévaluation de son jugement, il ne sera pas disposé à l’écouter.

Pourtant, lorsqu’une phase est passée et que l’être humain a entamé l’étape suivante de sa vie, il se désintéresse plus ou moins totalement de ce qui était, il y a quelques années encore, l’une des choses les plus importantes pour lui. Il en arrive parfois même à mépriser totalement son attitude passée: Pour en être convaincu, prenez par exemple un adolescent et demandez lui ce qu’il pense de ses jouets d’enfantsmieux, proposez lui de retourner à des jeux qui étaient ses passe temps favoris quand il avait 5 ou 6 ans et vous verrez quelle sera sa réaction… ou encore, essayez de demander à un homme qui approche la quarantaine quel regard il porte sur l’attitude qu’il avait et le comportement qui était le sien quand il était âgé de 16 ou 17 ans…

En d’autres mots, l’être humain finit, de lui-même, par se rendre compte que son appréciation par rapport à ce qu’il avait choisi à un moment donné de son existence comme le moteur de ses initiatives personnelles n’en valait finalement pas la peine. Mais ce qu’il est essentiel de souligner, c’est que ce constat, il vaut également pour la cinquième et dernière phase de la vie: Même ce que l’homme prend comme centre d’intérêt durant ses vieux jours ne mérite pas qu’il s’y attache et qu’il y consacre son énergie et focalise son attention – et cela, il a tout intérêt à en prendre conscience avant de quitter ce monde, et à ne pas attendre qu’il soit trop tard…

Bref, l’essentiel ne se trouve donc dans aucun des aspects mentionnés, tous liés uniquement à la satisfaction du plaisir matériel et ne représentant rien d’autre que des artifices détournant l’homme de son véritable objectif, à savoir œuvrer pour faire de cette vie un moyen pour parvenir au succès éternel de l’Au-Delà. C’est exactement ce vers quoi interpelle la fin du verset:

وَفِي الْآخِرَةِ عَذَابٌ شَدِيدٌ وَمَغْفِرَةٌ مِّنَ اللَّهِ وَرِضْوَانٌ وَمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا إِلَّا مَتَاعُ الْغُرُورِ

Et dans l’au-delà, il y a un dur châtiment, et aussi pardon et agrément d’Allah. Et la vie présente n’est que jouissance trompeuse.

Chers frères, voilà pourquoi le mois de Ramadhân est une occasion si importante pour le croyant -et la croyante: C’est justement une opportunité qui s’offre à lui pour lui permettre de se libérer de l’oppression de ses instincts, de ses désirs… Alors que la société matérialiste dans laquelle nous sommes plongés nous ressasse sans arrêt que le but unique et l’objectif ultime de cette vie n’est rien d’autre que la recherche de la satisfaction exclusive des plaisirs matériels, ceux du corps et des sens, le mois de Ramadhân porte lui un message diamétralement opposé: Notre succès ne peut venir que dans undosage juste et intelligent entre la satisfaction de nos besoins matériels et l’alimentation de notre âme spirituelle et de notre cœur.

En effet, suivre la logique inspirant le mode de vie matérialiste n’a pas d’autre conséquence que de nous entraîner dans une lutte perdue d’avance: L’homme aura besoin de faire toujours plus pour satisfaire un corps et des instincts qui, eux, sont insatiables… Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) ne disait-il pas:

 لو أن لابن آدم واديا مِنْ ذهب أحب أن يكون له واديان، ولن يملأ فاه إلا التراب، ويتوب اللَّه عَلَى من تاب

مُتَّفّقٌ عَلَيْهِ

Si l’être humain avait en sa possession une vallée pleine d’or, il aurait désiré en avoir deux. Et rien ne remplira sa bouche si ce n’est la terre. Et Allah pardonne à celui qui se repent.

Résultat: Non seulement cette quête va entraîner toujours plus d’exploitations, d’abus, d’injustices, d’oppression, de tensions, de conflits, de guerres, … mais elle portera également sans cesse de la frustration, étant donné que, comme nous le rappelle le Hadith, l’homme ne pourra jamais combler le fossé entre ses désirs matériels et leur satisfaction.

Malheureusement, la propagande matérialiste à l’art d’embrouiller les esprits: Elle présente cette source de tant de maux dans le monde aujourd’hui -que ce soit au niveau moral, au niveau social, au niveau écologique…- comme étant le Progrès; elle parvient à faire passer ce qui est en réalité une descente aux enfers –au sens propre et au sens figuré- comme représentant le salut; pire: elle arrive même à persuader ceux qui ne jurent que par elle, que celui qui ne veut pas se laisser aller dans cette logique irrationnelle, c’est « quelqu’un de bizarre »,« quelqu’un qui vit décalé par rapport à son époque »; et si jamais c’est un musulman qui refuse cet état d’esprit de l’assouvissement exclusif des plaisirs matériels, son attitude est interprétée comme étant un des signes révélateurs de son « islamisme » et de son« fondamentalisme »

C’est pour toutes ces raisons qu’il n’est pas question pour le musulman et la musulmane, une fois le Ramadhân terminé, de laisser à nouveau son âme se retrouver submergé par la quête des plaisirs illicites de ses sens et le poids excessif du matériel. Passé le mois de Ramadhân, il faut donc impérativement poursuivre cet effort de purification, de renforcement et de protection de l’âme et du « cœur » qui a été si bien initié durant le mois béni passé: C’est uniquement à ce prix que notre âme et notre « cœur » apportera l’éclairage nécessaire à notre raison pour que celle-ci puisse garder toute sa lucidité et refuser ainsi de se laisser dominer par nos désirs et de nos instincts; en conséquent, cela nous évitera, Incha Allah, de mener une existence qui ne caractériserait que par les cinq vains aspects qui ont été cités dans le verset étudié précédemment.

Et ce, d’autant plus que c’est au niveau de ce « cœur » que se situe la clé de pas mal de soucis auxquels nous sommes confrontés dans la vie de tous les jours. Qui, aujourd’hui, peut prétendre être à l’abri de toute forme de difficultés ? Personne… Illâ mâ châ ‘Allah ! Pour certains, il s’agit peut être de tracasseries d’ordre familial… pour d’autres, d’ordre financier… pour d’autres encore, d’ordre professionnel… Malheureusement, pour faire face à ces facteurs de contrariété, nous ne trouverons rien de pire à faire que d’aller des chercher des solutions dans le Harâm – l’illicite: Pour « résoudre » nos problèmes et s’en sortir, on n’hésitera pas à s’adonner à la médisance, à la délation, à la diffamation, à la sorcellerie, aux transactions usuraires ou interdites, à la tromperie, au mensonge, à la trahison, à la compromission sur des éléments de notre foi… ce qui, en réalité, ne fera rien d’autre que nous enfoncer encore plus…

Alors qu’en réalité, nous savons bien, au fond, que ces problèmes ne peuvent être résolus que par un assainissement de notre rapport avec Allah. En effet, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont:

– soit les fruits amers de nos péchés et de nos désobéissances envers Allah.

– soit des épreuves venant de Sa part.

Dans l’un ou l’autre cas, si on veut s’en sortir, c’est justement en revenant vers Notre Créateur, et en purifiant notre lien avec Lui… Ce qui impose nécessairement, comme évoqué plus haut, un effort constant sur l’âme et le « cœur ».

Mais, cela, malheureusement, on ne le fait que trop rarement. Ce qui se produit la plupart du temp, c’est qu’il y a tellement de ténèbres dans notre « cœur », qu’au lieu de nous efforcer d’y apporter la lumière nécessaire pour pouvoir le réformer et rétablir le lien véritable avec Allah, on va chercher des solutions ailleurs -dans le Harâm- où le « contexte » apparent semble plus favorable.

Finalement, on est exactement à l’image de cet homme, qui, une nuit, était en train de chercher sa pièce de monnaie sous un réverbère dans la rue. Quelqu’un, passant par là, décida de s’arrêter et de l’aider dans sa quête. Après une quinzaine de minutes de recherches infructueuses, ce dernier finit par demander au propriétaire s’il avait au moins une idée de l’endroit où la pièce avait pu tomber. Celui-ci répondit par l’affirmative: Il l’avait perdu chez lui, dans sa maison. « Mais pourquoi donc, dans ces conditions, la cherchez vous ici ? », s’emporte l’autre. Le propriétaire lui répondit alors, le plus sérieusement du monde: « Parce que chez moi, il fait trop sombre: On n’y voit rien, étant donné qu’il n’y a pas de lumière… tandis qu’ici justement, de la lumière, il y en a suffisamment… c’est pourquoi je la cherche ici ma pièce… »

Faisons donc tout pour ne pas continuer à adopter une attitude aussi ridicule et risible… Efforçons nous donc de raffermir le lien qui nous rattache à Allah, en développant notamment la conviction du caractère éphémère de cette vie présente et en entretenant la conscience que le moment est très proche où nous allons rencontrer Notre Créateur et où nous aurons à répondre de nos actes.

Le jour de l’Ide, c’est aussi, quelque part, une occasion de se souvenir de cela, comme nous l’invite le Hadith:

للصائم فرحتان يفرحهما إذا أفطر فرح وإذا لقي ربه فرح بصومه

Pour le jeûneur, il y a deux moments de joie: Le premier, c’est lorsqu’il met un terme à son jeûne; le second, c’est lorsqu’il rencontrera Son seigneur: Il se réjouira alors à cause de son jeûne.

Qu’Allah nous aide et nous fasse miséricorde. Qu’Allah agréé nos jeûnes, nos prières, nos invocations et toutes les œuvres pies qu’Il nous a donné, par Sa grâce, l’opportunité de faire. Âmine !

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !