Sois bon envers ton voisin, tu seras un (parfait) croyant…

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Discours prononcé à la Mosquée Attyab oul Massâdjid de Saint-Pierre le Vendredi 10 Novembre 2006

Bismillâhir Rahmânil Rahîm

Chers frères,

Être musulman, c’est une triple façon d’être… C’est d’abord et avant tout une façon d’être envers le Créateur ; c’est ensuite une façon d’être envers les créatures, vivantes ou inertes ; c’est enfin une façon d’être envers soi-même. Nous avions initié il y a quelques temps l’étude d’un Hadith qui présente justement quelques conseils importants concernant chacune de ces trois facettes de la personnalité du musulman.

Le premier de ces conseils portait sur l’attitude à avoir envers le Créateur tandis que le second était en rapport avec le lien que le musulman doit entretenir avec les choses de ce monde.

Nous allons aujourd’hui nous concentrer sur le troisième enseignement, qui concerne, lui, une dimension de la façon d’être avec ceux qui nous entourent. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dit :

وَأَحْسِنْ إِلَى جَارِكَ تَكُنْ مُؤْمِنًا

« Adopte « al ihsân » envers ton voisin, tu seras un croyant (complet). »

Le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam) met ici l’emphase sur l’attitude que le musulman doit adopter à l’égard de son voisin : des oulémas précisent que le terme « djâr » employé ici désigne bien évidemment celui qui habite à proximité, mais également toute personne que nous côtoyons, que ce soit durant le travail, pendant les études, au cours du voyage, etc…

En revenant vers l’ensemble des références traitant de ce sujet, il ressort que chacun a, à ce niveau, trois devoirs fondamentaux :

· Le premier est justement celui qui est souligné dans le présent Hadith, en l’occurrence le devoir de bienveillance (al ihsân). Le musulman doit ainsi toujours s’efforcer d’adopter une attitude positive et un comportement empreint de bonté envers son voisin, et ce, par exemple :

o en le traitant avec considération et respect. Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit :

مَنْ كَانَ يُؤْمِنُ بِاللَّهِ وَالْيَوْمِ الْآخِرِ فَلْيُكْرِمْ جَارَهُ

« Celui qui croit en Allah et au Jour Denier, qu’il honore son voisin. »

(Boukhâri et Mouslim)

o en manifestant de la générosité à son égard. A une occasion, le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam) avait exhorté l’un des ses Compagnons (radhia Allâhou anhou), Abou Dharr (radhia Allâhou anhou), en ces termes :

إِذَا طَبَخْتَ مَرَقًا فَأَكْثِرْ مَاءَهُ ثُمَّ انْظُرْ أَهْلَ بَيْتٍ مِنْ جِيرَانِكَ فَأَصِبْهُمْ مِنْهَا بِمَعْرُوفٍ

« Lorsque tu prépares un bouillon, augmentes-y la quantité d’eau puis offres-en un peu à une famille de ton voisinage. »

(Mouslim)

A une autre occasion, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) s’était adressé aux musulmanes et leur avait dit :

يَا نِسَاءَ الْمُسْلِمَاتِ لَا تَحْقِرَنَّ جَارَةٌ لِجَارَتِهَا وَلَوْ فِرْسِنَ شَاةٍ

« Qu’aucune femme ne méprise (le cadeau qu’elle peut offrir) à sa voisine, même s’il s’agit (de quelque chose d’aussi insignifiant qu’)une patte de mouton. »

(Boukhâri et Mouslim)

o ou encore, en lui apportant l’assistance et le soutien moral ou matériel dont il peut avoir besoin. Anas (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit :

ما آمن بي من بات شبعان و جاره جائع إلى جنبه و هو يعلم به

« N’a pas cru en moi celui qui dort repu tandis que son voisin, à côté de lui, a faim et il est au courant de cela. »

(Mousnad Bazzâr – Authentifié par Al Albâni)

Il est très important de souligner cependant que l’expression du bon comportement envers le voisin doit se faire dans le strict respect des impératifs du droit musulman, notamment en ce qui concerne les limites imposées dans les contacts avec les personnes du sexe opposé. Il est par exemple évident que la façon d’exprimer sa courtoisie ne sera pas du tout la même pour un homme à l’égard d’une voisine qu’à l’égard d’un voisin : Les règles au niveau du contact visuel, de la façon de converser etc. avec chacun d’eux sont bien évidemment différentes et doivent être scrupuleusement respectées… Si je prends la peine d’insister sur ce point, c’est simplement parce que chaytân et son allié, notre nafs ammârah (facette de l’égo qui inspire fréquemment le mal), peuvent aisément nous pousser à la transgression à ce niveau, et ce, sous couvert des meilleurs intentions, en nous exhortant par exemple à adopter une bienveillance –ihsân– à deux vitesses qui ferait que :

– l’on présente à une voisine un grand salut décoré par notre plus beau sourire, alors que pour un voisin, on se contente la plupart du temps d’un simple et rapide « bonjour »…

– l’on soit pris d’une grande compassion lorsqu’on voit une voisine porter deux sacs et que l’on soit donc toujours prêt à lui proposer son aide, alors que, dans le même temps, si nous voyons un voisin peiner pour transporter quelque chose de bien plus lourd chez lui, on est bien moins prompt à lui venir en aide…

§ Le second devoir envers le voisin consiste à éviter de faire quoique ce soit qui puisse lui causer du tort. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a tenu des propos des sévères concernant celui qui nuit à son voisin ; il (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit :

والله لا يؤمن والله لا يؤمن والله لا يؤمن قيل ومن يا رسول الله ؟ قال الذي لا يأمن جاره بوائقه

« Par Allah ! N’est pas croyant ! Par Allah ! N’est pas croyant ! Par Allah ! N’est pas croyant (…) celui dont le voisin n’est pas à l’abri de ses méfaits. »

(Sahîh oul Boukhâri)

Cela implique par exemple que l’on soit particulièrement vigilant au bruit que nous faisons (surtout lors des heures de repos), à la façon dont nous nous garons devant chez lui, à l’entretien de l’espace qui se trouve à proximité immédiate de sa propriété, C’est souvent en raison de la négligence dont on se montre coupable par rapport à ces points (considérés fréquemment comme étant des détails, mais qui, en réalité, sont très importants) que des tensions durables apparaissent entre voisins.

Et il faut savoir que les nuisances causées au voisin peuvent avoir des conséquences terribles… Elles peuvent annuler complètement l’effet positif de toutes nos bonnes actions nafl -non obligatoires, comme en témoigne le récit suivant :

عَنْ أَبِي هُرَيْرَةَ قَالَ قَالَ رَجُلٌ يَا رَسُولَ اللَّهِ إِنَّ فُلَانَةَ يُذْكَرُ مِنْ كَثْرَةِ صَلَاتِهَا وَصِيَامِهَا وَصَدَقَتِهَا غَيْرَ أَنَّهَا تُؤْذِي جِيرَانَهَا بِلِسَانِهَا قَالَ هِيَ فِي النَّارِ قَالَ يَا رَسُولَ اللَّهِ فَإِنَّ فُلَانَةَ يُذْكَرُ مِنْ قِلَّةِ صِيَامِهَا وَصَدَقَتِهَا وَصَلَاتِهَا وَإِنَّهَا تَصَدَّقُ بِالْأَثْوَارِ مِنْ الْأَقِطِ وَلَا تُؤْذِي جِيرَانَهَا بِلِسَانِهَا قَالَ هِيَ فِي الْجَنَّةِ

Abou Houreirah (radhia Allâhou anhou) raconte ainsi qu’un homme questionna un jour le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) en ces termes : « (Que penser d’) unetelle (qui) est réputée pour son grand nombre de salât, de jeûnes et de dons (surérogatoires), mais elle cause du tort à ses voisins par ses propos…. » Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) répondit : « Elle est dans le Feu ! »(étant donné qu’elle s’efforce, d’un côté, d’accomplir ce qu’il est permis d’abandonner, tandis que, de l’autre côté, elle ne se gêne pas à faire ce qu’il est obligatoire de délaisser…) Il (l’homme) demanda (alors) : « (Et qu’en est-il d’) unetelle (autre) qui est (plutôt) connue pour son petit nombre de jeûnes, d’aumônes et de prières. Elle donne (seulement en aumône) des morceaux de fromage. Néanmoins, elle ne cause pas de tort à ses voisins par ses propos. » Le Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dit alors : « Elle est au paradis. » (étant donné que l’essentiel, dans la pratique du dîn, consiste à faire ce qui est obligatoire et à s’abstenir de ce qui est interdit : et c’est justement ce que fait cette seconde femme. Il n’y a en effet pas vraiment d’intérêt à se focaliser exclusivement sur ce qui est secondaire et à délaisser complètement ce qui est fondamental, comme nous l’avions souligné lors de notre précédente intervention…)

(Sahîh Ibnou Hibbân)

Par ailleurs, il existe des Ahâdîth qui montrent que la gravité de porter atteinte aux droits sacrés d’autrui est encore plus grave lorsque c’est le voisin qui en est la victime. Ainsi le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit en ce sens que le fait de faire le zinâ avec la femme de son voisin est dix fois plus grave que lezinâ avec n’importe quelle autre femme. Et voler son voisin est également dix fois grave que voler n’importe qui d’autre. (Sens d’un Hadith rapporté par Miqdâd (radhia Allâhou anhou) et authentifié par Al Albâni)

§ Le troisième devoir envers le voisin consiste à s’efforcer de faire preuve de retenue et de supporter avec patience quand celui-ci a une attitude désagréable et se comporte mal envers nous. C’est ce que Hassan Al Basri (rahimahoullâh) disait :

ليس حسن الجوار كف الأذي و لكن حسن الجوار إحتمال الأذي

« La bonne compagnie avec les gens du voisinage ne consiste pas (simplement) à s’abstenir de nuire; elle consiste (aussi) à supporter(avec patience) le tort (qui nous est causé). »

Ce devoir est certainement le plus difficile des trois… mais c’est aussi celui qui est probablement le plus méritoire. Abou Dharr (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a cité à une occasion trois personnes qu’Allah aime ; parmi celles-ci, il a mentionné :

رَجُلٌ كَانَ لَهُ جَارُ سُوءٍ ، يُؤْذِيهِ ، فَصَبَرَ عَلَى أَذَاهُ ، حَتَّى يَكْفِيَهُ اللَّهُ إِيَّاهُ بِحَيَاةٍ أَوْ مَوْتٍ

« L’homme qui a un mauvais voisin qui le nuit, mais qui fait preuve de patience par rapport au tort qui lui est fait, et ce, jusqu’à ce qu’Allah le mette à l’abri (de ces méfaits) pendant qu’il est encore en vie ou après sa mort. »

(Tabrâniy)

Voici donc de façon synthétique ce que nous enseignent nos références par rapport aux droits du voisin. Avant de conclure, je tiens à souligner encore deux points :

– Tout d’abord, le devoir d’al ihsân envers le voisin s’applique bien évidemment quand celui-ci est musulman, mais il doit également être respecté lorsque celui-ci ne partage notre foi. On rapporte ainsi au sujet de Abdoullâh Ibn ‘Amr (radhia Allâhou anhou) que, lorsqu’on égorgeait un animal pour le faire cuire chez lui, il (radhia Allâhou anhou) s’assurait à ce qu’une partie de celui-ci soit offert à son voisin qui était juif, en rappelant les propos suivants du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) : « Djibrail (alayhis salâm) m’a tellement interpellé au sujet du voisin que j’ai crains que celui-ci soit désigné comme héritier. »

عن عبد الله بن عمرو أنه كان له جار يهودي و كان إذا ذبح الشاة قال احملوا إلى جارنا منها فإني سمعت رسول الله صلى الله عليه و سلم يقول ما زال جبريل يوصيني بالجار حتى ظننت أنه سيورثه

Et il faut bien comprendre que, pour que les non musulmans apprennent à apprécier l’Islam à sa juste valeur, aucun discours ne pourra jamais égaler le respect des différents enseignements que nous avons vu. Dans les conditions actuelles, où l’Islam et les musulmans sont constamment dénigrés, on peut disserter ou discourir pendant des heures sur les enseignements altruistes, magnanimes et humanitaires de notre religion avec les non musulmans, mais si ces qualités sont absentes de notre comportement, notre propos aura bien peu d’effet, étant donné que c’est sur nos actes que nous sommes jugés par ceux qui nous entourent.

– Cette réflexion que nous avons menée aujourd’hui sur l’importance des devoirs envers le voisin doit nous rappeler un autre devoir encore plus important : celui du bon comportement envers celle qui est bien plus proche de nous… c’est-à-dire notre épouse. Quant on constate avec quelle insistance le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a exhorté les musulmans à faire preuve d’ihsân et à ne pas nuire celui qui habite à proximité, on peut aisément déduire la bienveillance dont ont doit témoigner envers celle qui vit carrément avec nous… Se montrer désagréable avec elle peut très rapidement transformer sa vie en un véritable calvaire. Pourtant, il faut reconnaitre que, dans la vie quotidienne, nous accordons bien moins d’importance au bon comportement envers notre épouse qu’envers les personnes étrangères. On ne voit souvent aucun problème à faire gratuitement des choses qu’elle n’aime pas, qui la dérangent ou qui lui cause du tort… en oubliant que le fait de la nuire injustement est tout aussi harâm (et représente un péché kabîrah)que porter préjudice à n’importe quel autre musulman.

Wa Allâhou A’lam !