Oumar r.a. ignorait-il l’interdiction d’espionner autrui ?
Question:
J’ai lu récemment deux Traditions qui m’ont interpellé et j’aimerai vous poser une question à leur sujet.
– La première tradition relate qu’une fois, Oumar (radhia allâhou anhou) ne vit pas un de ses compagnons. Il s’adressa alors à Abdour Rahmân Ibné Awf (radhia allâhou anhou) et lui dit:
« Accompagne-moi à la maison d’untel; nous verrons bien (ce qui l’a retenu). » Lorsqu’ils arrivèrent devant sa maison, ils trouvèrent la porte ouverte. L’homme en question était assis et sa femme lui versa quelque chose à boire d’un récipient et le lui remit. Oumar (radhia allâhou anhou) dit à Abdour Rahmân Ibné Awf (radhia allâhou anhou): « Voici donc ce qui l’a empêché de venir! » Ibné Awf (radhia allâhou anhou) dit à Oumar (radhia allâhou anhou): « Et comment peux-tu savoir ce qu’il y a dans le récipient ? » Oumar (radhia allâhou anhou) dit alors: « Crains-tu que cela soit assimilé au « Tadjassous » 1 ? » Il répondit:
« Il s’agit en effet du « Tadjassous » ». Il demanda: « Comment alors se faire pardonner ? » Il (Ibné Awf (radhia allâhou anhou)) répondit:
« Ne lui fais pas savoir ce que tu as appris à son sujet et ne garde en toi que du bien à son égard. » Ensuite, tous deux repartirent.
– Quant à la seconde tradition, elle raconte -en substance- qu’une fois, Oumar (radhia allâhou anhou) était en train de faire une ronde la nuit à Médine. Il entendit soudain, d’une maison, la voix d’un homme qui chantait. Il monta sur le mur (de la maison) et dit: « O ennemi d’Allah ! Crois-tu qu’Allah te dissimule alors que tu es en train de commettre un péché ? » L’homme, tout en reconnaissant sa faute, reprocha malgré tout à Oumar (radhia Allâhou anhou), entre autres, de l’avoir espionné. Celui-ci, après lui avoir fait promettre qu’il abandonnerait le mal qu’il faisait, le pardonna et s’en alla. (Ces deux récits sont cités de façon détaillée dans l’ouvrage « Hayât ous Sahâba » – « La vie des Compagnons r.a. » – de Al Kandahlawi r.a. / Volume 2 – Page 571 et 572, avec comme référence « Kanz oul Oummâl »)
Par rapport à ces deux incidents qui sont relatés, ma question est toute simple:
Est-ce que ces récits indiquent que Oumar (radhia Allâhou anhou) ne connaissait pas l’interdiction énoncée dans le Qour’aane d’espionner les gens ? S’il connaissait cette interdiction, comment expliquer son attitude ?
Réponse:
Pour ce qui est de la question de savoir si ces deux récits, s’ils sont authentiques (ce qui reste bien évidemment à établir), expriment une quelconque ignorance de Oumar (radhia allâhou anhou) par rapport à l’interdiction coranique d’espionner autrui, la réponse est bien évidemment par la négative.
En ce qui concerne le premier récit, la formule employée par Oumar (radhia allâhou anhou) lorsqu’il questionne Abdour Rahmân Ibné Awf (radhia allâhou anhou) montre bien qu’il connaissait parfaitement le verset du Qour’aane qui interdit le « Tadjassouss« ; ce qu’il voulait savoir, à mon humble avis, c’était si cette interdiction s’appliquait aussi à ce qu’il avait fait, alors que la porte de la maison était ouverte.
Pour ce qui est du second récit, l’acte de Oumar (radhia allâhou anhou) ne montre pas, encore une fois, qu’il ne connaissait pas l’interdiction coranique. Ce qui est prohibé dans le Livre d’Allah, c’est de rester à l’affût des fautes des gens en les espionnant. Par contre, si on arrive à connaître le péché d’une personne sans l’avoir espionné, dans le cas par exemple de celui qui commet des péchés ouvertement, alors on a le devoir de prendre en considération le péché commis et de faire le « Nah’y anil Mounkar » (c’est à dire de lutter contre ce qui est blâmable). Cela est confirmé par une tradition
rapportée de Ibné Mas’oud (radhia allâhou anhou): Une fois, on lui présenta un individu, la barbe dégoulinant de vin. Il (radhia allâhou anhou) dit alors: « Il nous a été interdit d’espionner les gens. Par contre, si nous sommes témoins d’une chose (de blâmable), alors nous la condamnerons (autre traduction possible: « nous agirons en conséquent »). » 2
C’est justement en s’appuyant sur ces propos de Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) que l’illustre savant Ibn oul Djawzi r.a. affirme:
« Celui qui commet un péché en se dissimulant chez lui et en fermant la porte de sa maison, il n’est pas permis à quiconque de l’espionner, sauf dans le cas où se manifesterait un élément indiquant le mal qu’il est en train de faire (…) »
Il ajoute encore:
« Les commentateurs du Qour’aane affirment que le « Tadjassous » consiste à chercher les défauts des musulmans et ce qu’ils dissimulent. (…) Que personne parmi vous n’épie son frère pour chercher ses défauts, alors qu’Allah les a gardé dissimulés. » 3
Pour revenir au récit concernant Oumar (radhia allâhou anhou) que vous avez cité, vous remarquerez qu’il y bien précisé que celui-ci entendit la voix de l’homme qui chantait; ce qui montre que la personne concernée chantait à haute voix, et qu’il n’y a donc pas eu de la part de Oumar (radhia allâhou anhou) de « Tadjassouss« .
En tout état de cause, quand on parle de Oumar (radhia Allâhou anhou), il convient de garder à l’esprit le Hadith du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) qui dit en ce sens:
« Il y eut parmi ceux qui vous ont précédés, dans le peuple des fils d’Israël, des hommes qui n’étaient pas des prophètes, mais qui étaient « inspirés »; s’il devait y en avoir dans ma communauté, ce serait Oumar! » (Boukhâri et Mouslim) 4
Radhia Allâhou Anhou – Qu’Allah l’agrée.
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !
Patel Mouhammad
1- Le « Tadjassous » désigne l’action d’espionner, de surveiller quelqu’un secrètement. Cette pratique est interdite par le Qour’aane. Allah dit (traduction du sens du verset) :
« Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer [sur autrui] car une partie des conjectures est péché. Et n’espionnez pas; et ne médisez pas les uns des autres. L’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? (Non ! ) vous en aurez horreur. Et craignez Allah. Car Allah est Grand Accueillant au repentir, Très Miséricordieux. »
(Sourate 49 / Verset 12)– Retour
2 – Rapporté par Abou Dâoûd dans ses « Sounan », Hâkim dans son « Moustadrak » et Ibn Aby Chaybah dans son « Moussannaf » – Retour
3 – Propos cités dans l’ouvrage intitulé « Kitâb oul âdâbich char’iyah wal manhil mar’iyah » de Abou Abdillâh Mouhammad Ibn Mouflih Al Maqdisiy Al Hambali r.a., où on peut également lire en substance ceci: « Mouhammad Ibn Abi Harb r.a. rapporte qu’il a demandé à Abou Abdillâh r.a. quelle devrait être l’attitude de celui qui entend des choses illicites chez un de ses voisins. Celui-ci lui répondit en ce sens qu’il devrait alors réagir et d’empêcher le voisin concerné de persister dans le mal. » – Retour
4 – Les commentateurs divergent concernant le sens exact de ce à quoi le Prophète a fait allusion pour qualifier ces gens: Certains sont d’avis que ceux-ci recevaient des inspirations venant de la part d’Allah; d’autres pensent que les anges communiquaient avec eux; d’autres encore soutiennent que les intuitions de ces gens se révélaient exactes… Voir à ce sujet les commentaires de l’Imâm Nawawi r.a. et de Hâfidh Ibn Hadjar r.a. dans leurs commentaires respectifs du Sahîh Mouslim et du Sahîh Boukhâri. – Retour
- Par Mouhammad Patel
- Le 20 mai 2002