Ne répétons pas les erreurs de « Saba »…

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Bismillâhir Rahmânil Rahîm

Assalâmoualaïkoum wa rahmatoullâhi wa barakâtouh

Discours prononcé avant la prière de Djoum’a à la mosquée de Saint-Pierre, le 13 Cha’bân 1424.

Chers frères,

Tout au long du texte coranique, des rappels sont adressés aux Hommes de façon répétée afin qu’ils prennent conscience de la nécessité de respecter leurs devoirs et de s’acquitter de leurs responsabilités. Si ces rappels incessant sont énoncés sous différentes formes, les trois suivantes comptent néanmoins parmi celles qui sont les plus employées:

  • At tadhkîr bi âlâ illâh, c’est-à-dire le rappel par l’évocation des bienfaits de Dieu offerts aux hommes.
  • At tadhkîr bi ayyâmillâh, c’est-à-dire le rappel par l’évocation du sort (positif ou négatif) qu’Allah a réservé aux communautés passées. 1
  • At tadhkîr bi ayâtillâh, c’est-à-dire le rappel par l’évocation des signes de la Puissance et de la Perfection divine.

Aujourd’hui, je vous propose une rapide réflexion par rapport à un passage du Qour’aane relativement court, mais néanmoins très riche en enseignement, étant donné justement qu’il combine les trois types de rappel cités: Il s’agit des versets 15 à 19 de la Sourate 34. Allah y présente quelques aspects de la splendeur passée de l’une des plus grandes civilisations qu’ait connue la région sud de l’Arabie, en l’occurrence celle de la communauté de Saba 2 , avant de décrire ce qui va constituer le début de leur fin…

Allah avait gratifié ce peuple de bienfaits remarquables, aussi bien d’ordre matériel que spirituel: C’est ce que l’on peut constater en revenant vers l’énoncé coranique -et en considérant les données historiques et archéologiques disponibles à ce sujet

  • Ainsi, les gens de Saba jouissaient à cette époque d’un cadre de vie magnifique: Leur région était recouverte d’innombrables vergers et espaces verdoyants, si rapprochés les uns des autres qu’ils semblaient ne former que deux (immenses) jardins 3

لَقَدْ كَانَ لِسَبَإٍ فِي مَسْكَنِهِمْ آيَةٌ جَنَّتَانِ عَن يَمِينٍ وَشِمَالٍ

Il y avait assurément, pour la tribu de Saba un Signe dans leurs demeures; deux jardins, l’un à droit et l’autre à gauche.

Allah qualifie également leur territoire de « baldatoun tayyiabatoun », c’est-à-dire de contrée agréable: On raconte que leur terre que le climat qui y régnait était merveilleux.

  • Le rayonnement de Saba n’était pas seulement du à la beauté de leur environnement… Ils détenaient également une puissance économique considérable, et ce, en raison essentiellement des trois atouts suivants:
  • Grâce à la maîtrise technologique et au savoir faire (en matière hydraulique notamment) qu’Allah leur avait accordés, ils avaient bâti une énorme digue à proximité de leur capitale. Ils avaient mis en place à partir de là un système d’irrigation très ingénieux qui leur permettait de cultiver toute la vallée -près de 10 000 hectares, selon certains rapports historiques-. Cette énorme production agricole leur apportait ainsi un niveau de vie enviable et une grande prospérité.

كُلُوا مِن رِّزْقِ رَبِّكُمْ

« Mangez de ce que votre Seigneur vous a attribué »

  • Les différentes tribus qui composaient la communauté de Saba étaient réparties entre de nombreux villages, très rapprochés les uns des autres: Les voyageurs et ceux qui se déplaçaient entre elles n’avaient ainsi pas à se soucier pour leurs viatiques, ni même pour leur sécurité. Le Qour’aane relate:

وَجَعَلْنَا بَيْنَهُمْ وَبَيْنَ الْقُرَى الَّتِي بَارَكْنَا فِيهَا قُرًى ظَاهِرَةً وَقَدَّرْنَا فِيهَا السَّيْرَ سِيرُوا فِيهَا لَيَالِيَ وَأَيَّاماً آمِنِينَ

Et Nous avions placé entre eux et les villes que Nous avions bénies d’autres cités à portée de regard, et Nous rendîmes entre elles le déplacement facile: « Voyagez entre elles pendant des nuits et des jours, en toute sécurité ».

On pourrait déduire de cet état de fait que les villages de Saba étaient très unis et bien structurés…

  • Leur capitale était située sur un axe d’échange très important à l’époque: Ils avaient ainsi la possibilité de commercer et d’échanger aisément, et surtout, en toute sécurité, avec les autres peuples…
  • Et, cerise sur le gâteau, au niveau spirituel, les Saba pouvaient espérer en la Miséricorde et la Grâce d’un Seigneur Pardonneur, un « rabboun ghafoûr » pour reprendre les termes coraniques.

Bien évidemment, cette profusion de ni’am (bienfaits) de la part d’Allah imposait d’eux qu’ils expriment, en retour, un minimum de gratitude envers leur Pourvoyeur, et ce, en s’attachant à Ses enseignements.

Malheureusement, ce ne fut pas cette voie qu’ils choisirent: Ils ne manifestèrent aucune reconnaissance, se détournèrent du Message d’Allah et firent preuve d’une grande arrogance…

فَقَالُوا رَبَّنَا بَاعِدْ بَيْنَ أَسْفَارِنَا وَظَلَمُوا أَنفُسَهُمْ

Puis ils dirent : « Seigneur, allonge les distances entre nos étapes », et ils se firent du tort à eux mêmes.4

Et ils ne tardèrent pas à goûter les conséquences néfastes de leur mépris, de leur ingratitude et de leur incroyance. Allah va leur reprendre toutes les faveurs qu’Il leur avait accordées…

– Tout commence par une catastrophe: Le barrage de Ma’rib se rompt.

فَأَرْسَلْنَا عَلَيْهِمْ سَيْلَ الْعَرِمِ

« Nous avons déchaînés contre eux l’innondation du barrage »

– Le torrent d’eau qui s’ensuit inonde la vallée et ses espaces paradisiaques. Ces derniers sont alors remplacés par des jardins aussi repoussants qu’inexploitables: Les Saba perdent ainsi leur principale source de richesse (la production agricole) et, en même temps, leur plus grand atout économique…

وَبَدَّلْنَاهُم بِجَنَّتَيْهِمْ جَنَّتَيْنِ ذَوَاتَى أُكُلٍ خَمْطٍ وَأَثْلٍ وَشَيْءٍ مِّن سِدْرٍ قَلِيلٍ

« Nous remplaçâmes leurs deux vergers par deux autres, remplies de plantes épineuses aux fruits amers, de tamaris et de quelques rares jujubiers. »

– Forcément, après ceci, la région n’exerce plus aucun attrait pour les étrangers: Les échanges avec l’extérieur diminuent donc progressivement. Sur le plan intérieur, ses habitants la quittent peu à peu pour aller s’établir ailleurs dans la péninsule arabique: Cet exil entraîne la disparition de bon nombre de leurs villages.

C’est ainsi que, en l’espace de quelques temps, ce qui fut l’une des plus grandes civilisations de la région va s’éteindre: La déchéance de Saba va devenir alors légendaire. Allah dit:

فَجَعَلْنَاهُمْ أَحَادِيثَ وَمَزَّقْنَاهُمْ كُلَّ مُمَزَّقٍ

« Nous fîmes d’eux des sujets de légende et nous les dissociâmes totalement. »

Chers frères,

Aujourd’hui, en considérant notre mode de vie, notre contexte socio-écomique, les multiples avantages matériels que nous possédons, les occasions bénies qu’Allah nous offre régulièrement (comme le mois de Ramadhân qui arrive très bientôt…), nous autres, musulmans de la Réunion, pouvons trouver pas mal de similitudes entre notre situation matérielle et spirituelle et celle de la communauté de Saba.

A ce titre, ce récit constitue pour nous un avertissement clair: Quelque soit l’atout et le privilège matériel que l’on puisse posséder, quelque soit l’importance du bienfait dont on puisse jouir, dans ce monde, rien n’est acquis de façon définitive et tout dépend de la volonté divine… C’est Lui Seul qui octroie, et Il détient constamment le pouvoir et la puissance de tout reprendre. Ne répétons donc pas les erreurs de Saba…

Il ne faut pas croire que l’histoire ne risque pas de se répéter. Le Qour’aane met clairement en garde à ce sujet:

ذَلِكَ جَزَيْنَاهُم بِمَا كَفَرُوا وَهَلْ نُجَازِي إِلَّا الْكَفُورَ

« Nous les rétribuâmes ainsi pour leur mécréance. Saurions-nous sanctionner un autre que le mécréant ? »

Qu’Allah nous accorde à tous l’opportunité d’agir comme il se doit pour garder nos acquis, pour les valoriser et de les faire fructifier réellement.

Qu’Allah nous permette de toujours rester attachés à Ses injonctions, et d’exprimer ainsi notre gratitude -choukr- et notre humilité.

Âmine

Wa Allâhou A’lam !

Wassalâmoualaïkoum wa rahmatoullâhi wa barakâtouh


  • Cette interprétation de l’expression « Ayyâm oullâh » est rapportée de Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) et Oubayy ibn Ka’b (radhia Allâhou anhou). Voir Tafsîr Qourtoubi
  • Celle-ci a régné relativement longtemps sur la région -près de deux millénaires, si l’on en croit certains rapports historiques. Au cours de la période à laquelle se rapporte les faits décrits dans ce passage du Qour’aane, la capitale de Saba était la ville de Ma’rib, située au débouché du « Wâdî Dhana » (au Yémen).
  • C’est là une des interprétations de ce passage données par Ar Râzi r.a. dans son Tafsîr.
  • Les commentateurs du Qour’aane ont interprété ce passage de trois façons différentes:

– Pour certains, des membre de la communauté de Saba avaient réellement fait cette demande, aveuglés par l’orgueil et la volonté de se mettre en valeur: Ils voulaient ainsi que les trajets séparant leurs villages soient allongés (avec les difficultés d’approvisionnement que cela impliquerait nécessairement…), afin que le voyage devienne pour eux un moyen où ils pourraient manifester leur richesse et leur opulence et se distinguer ainsi des plus démunis.

– Pour d’autres, cette requête de leur part n’avait pas été exprimée de façon explicite: Néanmoins, c’était là le message qui ressortait de leur attitude ingrate et leur manque de reconnaissance face aux bienfaits d’Allah.

– Enfin, pour d’autres encore, ces propos avaient été prononcés sur un ton de défi; en effet, s’étant totalement détournés des enseignements de Dieu, ils en étaient arrivés à être convaincus que leur réussite n’était due qu’à leurs propres aptitudes et à leur savoir faire: Ils pensaient donc qu’il leur était impossible de perdre ces atouts dont ils jouissaient.