Ne perdons pas de vue l’Invisible !

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Bismillâhir Rahmânil Rahîm
Discours prononcé avant la salât oul djoum’âh le Vendredi 25 Mars 2005, à la mosquée Attyab oul Masâdjid de Saint-Pierre

Chers frères,

Depuis très longtemps, quatre types d’individus se côtoient sur cette terre :· Certains ne croient que ce qu’ils peuvent observer et n’accordent de la crédibilité qu’aux éléments qui peuvent être sujets à l’expérience, c’est-à-dire qui ne dépassent pas le cadre des phénomènes connus et connaissables : Ils nient donc l’existence de toute divinité, ainsi que la réalité d’une quelconque dimension au-delà de ce monde visible.
· D’autres se déclarent complètement ignorants par rapport à ce qui n’est pas directement accessible aux sens et aux facultés humaines. En d’autres mots, il ne rejettent pas la possibilité qu’existe un Dieu et un monde invisible, mais ils n’y croient pas non plus : Ils ne se prononcent ni dans un sens ni dans l’autre parce qu’ils ne savent pas.· D’autres encore (comme les adeptes des sciences occultes, de la parapsychologie, du spiritisme…) reconnaissent l’existence de quelque chose d’autre, au-delà de ce qui est directement perceptible. Mais leurs convictions à ce sujet sont établies essentiellement à partir du fruit de leur imaginaire (très fertile…) ou de leurs expériences personnelles : De telles personnes peuvent ainsi croire, par exemple, en l’existence(et l’influence) des esprits, tout en niant l’existence de Dieu ou la réalité d’une résurrection après la mort.· D’autres, enfin, apportent foi en l’existence de toute une dimension au-delà de ce monde dans lequel ils vivent… Une dimension qui leur est invisible et imperceptible directement,

o qu’ils ne connaissent qu’à travers les informations qui leur ont été communiquées par Celui qu’ils considèrent comme le Créateur de l’Univers, Dieu, et ce, par le seul moyen totalement infaillible à leurs yeux, la Révélation transmise à un Messager (alayhis salâm).

Bien évidemment, tous ceux qui, à travers les âges, ont apporté foi au Prophète (alayhis salâm) qui leur avait été envoyé de la part d’Allah font partie de cette dernière catégorie d’individus…

A vrai dire, pour le mou’min (croyant), la foi en l’Invisible est tellement fondamentale, que sa vie entière dans le monde visible est bâtie autour de celle-ci; elle est complètement orientée et influencée par celle-ci. C’est cette réalité qui est exprimée au tout début du texte coranique, lorsqu’il est dit :

Alif, Lam, Mim. C’est le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute, c’est un guide pour les pieux, qui croient à l’invisible et accomplissent la Salat et dépensent [dans l’obéissance à Allah], de ce que Nous leur avons attribué. Ceux qui croient à ce qui t’a été descendu (révélé) et à ce qui a été descendu avant toi et qui croient fermement à la vie future. Ceux-là sont sur le bon chemin de leur Seigneur, et ce sont eux qui réussissent (dans cette vie et dans la vie future).

On constate ainsi que, ici, dans la description des pieux croyants qui est faite, deux actions « apparentes » sont citées en étantencadrées par des aspects en rapport avec l’Invisible…

Quand on revient vers les premiers musulmans de la communauté du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), force est de constater que ces nobles Compagnons (radhia Allâhou anhoum) présentaient pleinement ces caractéristiques énoncées par Allah :

– Leur conviction et leur foi en l’Invisible étaient inébranlables.

Leur interaction avec le visible se limitait au besoin (et elle était même accompagnée parfois d’une certaine méfiance…)

En un mot, leur souci principal et leur effort constant consistaient à trouver des moyens pour se servir du visible afin d’améliorer leur rapport avec l’Invisible. Et s’ils étaient parvenu à ce stade de maturité spirituelle, ce n’est pas par hasard : C’est parce qu’ils avaient bénéficié de la lumière de l’enseignement prophétique et de la bénédiction de la présence en leur milieu du meilleur des hommes, Mouhammad ibn abdillâh (sallallâhou alayhi wa sallam).

Celui-ci (sallallâhou alayhi wa sallam) leur adressait constamment des rappels au sujet de la réalité de ce monde visible –ad dounyâ- et de son insignifiance par rapport à l’Autre, Invisible –al âkhirah :

– en attirant leur attention au sujet du caractère éphémère de cette vie présente et de tout ce qui s’y rattache. Ainsi, à une occasion, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait raconté aux Compagnons (radhia Allâhou anhoum) que, le Jour du Jugement Dernier, la personne qui aura vécu dans le plus d’aisance et qui aura joui du plus de bienfait dans ce monde –parmi les milliards d’individus qui ont peuplé cette terre- sera appelée. On le plongera alors une fois en Enfer, puis on lui demandera : « Ô fils d’Adam ! As-tu déjà connu le bien, ne serait-ce qu’une fois ? As-tu déjà goûté à un bienfait ? » Il répondra, en prenant Dieu à témoin : « Jamais ! » Puis on fera appel à celui qui aura connu le plus de souffrance dans ce monde. On le plongera alors une fois dans le Paradis, puis on le questionnera : « T’es-t-il déjà arrivé de connaître la difficulté ? » Il dira, en jurant au nom d’Allah : « Je n’ai jamais connu de souffrance ni de difficulté. » (Par ces propos, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) montrait ainsi au Compagnons (radhia Allâhou anhoum) qu’il suffira d’un seul passage en Enfer et au Paradis pour que l’homme oublie tout ce qu’il a pu connaître et vivre (de positif ou négatif) dans ce monde…)

– en leur rappelant l’inconsistance de ce monde fini face à l’Autre, infini. Il (sallallâhou alayhi wa sallam) disait : « Par Allah ! L’exemple de ad dounyâ face à al âkhirah est comparable à la quantité infime d’eau qui subsiste sur le doigt après l’avoir plongé dans l’océan (par rapport à l’océan elle-même). »

– en mettant l’emphase en leur présence sur le fait que, de ce monde, la seule chose dont on est en droit d’espérer le soutient permanent est celle qui a un lien avec l’Invisible. Il (sallallâhou alayhi wa sallam) affirmait : « Trois choses accompagnent le défunt : Sa famille, ses biens et ses actions. Deux d’entre elles retournent et une seule reste; sa famille et ses biens rentrent (et le laissent), tandis que ses actions restent (à ses côtés). »

– en insistant sur la juste considération qu’ils devaient accorder au visible. Il (sallallâhou alayhi wa sallam) conseillait à un Compagnon (radhia Allâhou anhou) une fois : « Sois dans ce monde comme si tu étais un étranger ou un voyageur. » (C’est-à-dire que l’attention accordée à cette vie devrait se limiter à hauteur du besoin, l’essentiel restant la préparation pour l’Invisible.)

– et, surtout, en leur mettant en garde contre le charme trompeur de ce monde : « Certes, ce dounyâ est savoureux (houlwah) et plaisant (khadhirah). Et Allah vous désignera comme Son représentant dans ce monde, puis Il regardera comment vous allez agir. Faites donc attention concernant ce dounyâ (…) »

Chers frères, nous tous qui sommes musulmans devons, en principe, compter parmi les individus qui forment la quatrième catégorie citée précédemment, à l’instar de Compagnons (radhia Allâhou anhoum)… Mais quand on considère notre façon de penser, de raisonner et d’agir, nos projets et nos objectifs, nos ambitions et nos désirs, bref, notre mode de vie, on constate avec tristesse qu’il est à l’opposé de celui des premiers musulmans : Si pour eux l’Invisible était au centre de leur existence, comme cela doit l’être d’ailleurs, pour nous, le visible est à peu près tout ce qui compte. L’Invisible, lui, n’a qu’une place secondaire et un rôle accessoire dans l’orientation de notre vie.

Quiconque aurait des doutes à ce sujet devrait essayer de comparer le temps qu’il accorde, chaque jour, à se soucier de l’amélioration de sa condition dans ce monde (élévation constante de son mode de vie, augmentation de son capital financier, recherche de moyens pour multiplier ses sources de revenus, développement de son image et de son impact autour de lui…) à celui qu’il passe à méditer sur son devenir dans le monde Invisible (prise de conscience par rapport à la réalité de la mort, à celle du questionnement de la tombe, à celle du Jugement Dernier et des comptes que nous aurons à rendre devant Allah…) Il constatera alors que ses incertitudes s’effaceront très rapidement…

Et cet inversement des priorités de notre part est d’autant plus tragique qu’il a de graves répercussions sur l’ensemble de notre oummah. C’est en effet cet état de fait qui explique en bonne partie notre inconsistance et notre faiblesse actuelle : Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait cité, parmi les traits qui caractériseront les musulmans lorsqu’ils seront méprisés et dominés par leurs ennemis, la présence en eux de « al wahn », c’est-à-dire l’amour pour ce dounyâ et, en conséquence, l’aversion de la mort.

Mes frères, si nous sommes vraiment des mou’minîn comme nous le prétendons, nous avons des changements radicaux à effectuer dans notre façon de penser et d’agir. Combien il est triste de constater que, souvent -trop souvent même-, ce n’est que lorsque nous sommes rudement éprouvés (dans nos biens, dans nos affaires, dans notre famille…) que nous prenons conscience de l’importance de l’Invisible. Et le pire, c’est que dans ces moments de souffrance et d’affliction, il n’est pas rare de constater qu’il nous arrive (inconsciemment peut être) d’adopter des attitudes qui témoignent que avons plus foi en la force des amulettes, des talismans (ta’wîdh), des méthodes de traitements supranaturel, ou au pouvoir des « pseudo-guérisseurs » (dont les agissements frôlent le chirk (association à Dieu) ou la bid’ah (innovation religieuse)) qu’en la Toute Puissance d’Allah et en la perfection de l’enseignement transmis par notre Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). En d’autres mots, notre comportement fait que, parfois, nous présentons bien plus de similitudes avec les personnes appartenant à la troisième catégorie évoquée au début (les adeptes du spiritisme et des pratiques occultes) qu’avec des mou’minîn (croyants) dignes de ce nom, dont la conception et l’interaction avec l’Invisible est basée exclusivement sur les énoncés de la Révélation divine.

Mes frères, il faut absolument abandonner au plus vite ces comportements irresponsables et infantiles. N’oublions pas que les propos énoncés par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) par rapport au visible et l’Invisible sont toujours d’actualité : Le dounyâ dans lequel nous nous trouvons est celui-ci là même que les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) ont traversé… Nous fonçons à vive allure vers cette âkhirah où ils se trouvent déjà… Et c’est devant le même Dieu que nous allons tous être présentés très bientôt pour le Jugement… Voilà pourquoi, à l’image des premiers musulmans,nous devrions faire de notre mieux pour ne pas perdre de vue l’Invisible !

Wa Allâhou A’lam !