Le statut de celui qui commet un grave péché

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Question : Celui qui commet un grave péché reste-t-il musulman ?…

Réponse: La question que vous soulevez ici a fait l’objet de grandes controverses depuis très tôt dans l’histoire musulmane entre, d’un côté, les savants attachés à l’orthodoxie musulmane –les « ahlous sounnah wal djamâ’ah », les sunnites- et, de l’autre, ceux appartenant à d’autres groupes et mouvements ayant dévié de l’enseignement originel et de la voie tracée par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) et suivie par ses Compagnons (radhia Allâhou anhoum).

La position des sunnites…

La croyance sunnite sur ce point est exprimée par l’Imâm Abou Dja’far At Tahâwi (rahimahou Allah) en ces termes dans son très célèbre traité portant sur les doctrines musulmanes –la « Aquîdah »- :

« Les auteurs de « kabaïr » (péchés majeurs) faisant partie de la communauté du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) ne séjourneront pas éternellement dans le Feu, s’ils ont quitté ce monde monothéistes (mouwahhidoûn), et ce, même s’ils ne se sont pas rempentis (de leurs actes), à partir du moment où ils rencontrent Allah avec foi et reconnaissance. Ils resteront sujets à Sa Volonté et à Son Jugement: S’Il le veut, Il les pardonnera et les fera rémission par Sa gâce, tel que l’a mentionné le Tout Puissant et le Majestueux dans Son Livre: « A part cela (ndt: c’est-à-dire le « chirk », le fait de Lui donner des associés)Il pardonne à qui Il veut. »  (Sourate 4 / Verset 48)

Et s’Il le veut, Il les châtiera dans le Feu (de l’Enfer) par (l’application de) Sa Justice, puis Il les y retirera par Sa Miséricorde et(/ou) l’intercession de ceux qui Lui ont obéi et les enverra dans Son Paradis. Ceci (c’est-à-dire ce sort particulier leur est destiné) parce qu’Allah protège ceux qui L’ont reconnu, et Il n’agit pas envers eux dans les deux demeures comme ceux qui l’ont ignoré, ceux qui ont perdu Sa Guidée et n’ont pas obtenu Sa Protection. Ô Allah ! Ô Protecteur de l’Islam et des musulmans, garde nous sur (la voie de) l’Islam jusquà ce que l’on puisse Te rencontrer en y étant attaché. »

 

Pour résumer donc, on peut dire que, selon les sounnites:

  1. Le musulman qui commet un grave péché ne devient pas kâfir à cause de son acte de désobéissance (tant qu’il ne considère pas le péché en question comme étant licite). 1
  2. Si jamais ce musulman meurt sans s’être repenti pour ses péchés, son sort dépend de la Volonté Divine: Allah peut lui envoyer pour un laps de temps défini en Enfer –et non pas éternellement, étant donné qu’il n’est pas mort en état de koufr (incroyance) afin de le purifier, mais Il peut également le grâcier et l’envoyer au Paradis.

Pour revenir aux écrits cités plus haut, en choisissant cette formulation, l’Imâm Tahâwi (rahimahou Allah) 2 réfute deux considérations dogmatiques erronées concernant le musulman qui commet un (ou des) péché(s) majeur(s) (et qui meurt ensuite sans se repentir de son (ses) acte(s)): D’un côté, celle des khâridjites et des mou’tazilites  4, et de l’autre, celle des mourdjites 5.


La position des khâridjites et des mout’azilites…

La première considération à ce sujet est donc celle défendue par les khâridjites, et les mu’tazilitesselon les khâridjites, le musulman qui commet un péché quitte l’Islam et devient carrément kâfirpour les mou’tazilites, le musulman qui commet un grave péché quitte l’Islam mais ne devient pas pour autant un  kâfir: Il passe en fait à un stade intermédiaire entre la foi et la mécréance, stade qu’ils appellent « al manzilah baynal manzilataïn ».

Néanmoins, ces deux groupes s’accordent pour considérer qu’une telle personne, si elle meurt sans s’être repentie de ce qu’elle a fait, Allah devra nécessairement la châtier et elle sera donc jeté en Enfer où elle y séjournera éternellementCette première considération déviante concernant celui qui commet un péché majeur fit son apparition pour la première fois à l’époque de Ali (radhia Allâhou anhou), lors de la naissance même de la secte des khawâridj: Lorsque Ali (radhia Allâhou anhou) et Mouâwiyah (radhia Allâhou anhou) acceptèrent d’avoir recours à l’arbitrage de deux Compagnons (radhia Allâhou anhoum) pour essayer de mettre un terme au conflit qui les opposait  (lors de la bataille de Siffîn), des invidus faisant partie de l’armée de Ali (radhia Allâhou anhou) se séparèrent de lui, rejetèrent cet arbitrage humain, considérant qu’il s’agissait là d’une hérésie –suivant une interprétation incorrecte et fallacieuse du passage coranique proclamant que « (…) ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, les voilà les mécréants. » (Sourate 5 / Verset 44)et considérèrent que tous ceux qui ne se démarqueraient pas dudit arbitrage seraient kâfir.

Ils allèrent même, aveuglés qu’ils étaient dans leur égarement, jusqu’à considérer d’illustres Compagnons (radhia Allâhou anhoum), à la tête desquels on pourrait citer Ali (radhia Allâhou anhou) lui-même, comme kâfir, étant donné que –selon leur interprétation erronée- ceux-ci avaient délaissé, dans leur jugement, l’autorité divine pour une autorité humaine: Ils commencèrent ainsi à combattre tous les musulmans qui ne partageaient pas leur croyance sur ce point (mais aussi sur d’autres aspects doctrinaux), étant donné que ces derniers étaient kâfir à leurs yeux.6

Par la suite, les mu’tazilites -dont le principe fondamental a toujours consisté en la primauté de la raison dans l’approche des Textes Révélés, même si cela implique la négation ou l’interprétation fallacieuse et tendancieuse de certaines points de la croyance faisant partie de l’enseignement composant la voie authentique du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) et des Compagnons (radhia Allâhou anhoum)… – développèrent sur la question leur approche rationaliste: Pour eux, celui qui commet un kabîrah ne peut plus être considéré comme  mou’min (croyant) –étant donné que, selon eux, ce qualificatif ne peut être reconnu qu’à celui qui fait le bien, mais il ne peut non plus être considéré comme un kâfir – étant donné qu’il professe la chahâdah et agit quand même, partiellement du moins, suivant ses impératifs 7


La position des mour’djites…

La seconde considération, au sujet de celui qui commet un grave péché, est celle soutenue par les mourdjitesContrairement aux khâridjites et aux mou’tazilites, ceux qui faisaient partie de ce groupe dévièrent en annihilant complètement l’importance des actes pour le musulman: Ainsi, selon eux, seul compte la foi et la conviction en Dieu qui réside dans le cœur. A partir du moment où une personne professe la foi oralement, quelque soit l’acte de désobéissance et le péché qu’il pourra commettre, cela ne lui sera en aucune façon préjudiciable, ni dans ce monde, ni dans l’Au-delà.


Les sunnites ont ainsi adopté un avis médian…

C’est en ayant à l’esprit ces deux positions extrêmes que l’on constate la justesse de la position des Ahl ous Sounnah à ce sujet, exprimée par l’Imâm Tahâwi (rahimahou Allah) dans sa « Aquidah ».

Ainsi, contrairement aux:

  • khâridjites, qui se sont égarés en se limitant à une approche purement littéraliste, superficielle et inexacte des nombreux versets ou Hadiths où des péchés ont été qualifiés de « koufr » –ainsi que ceux dans lesquels la menace du feu de l’Enfer a été énoncée concernant ce genre d’actes de désobéissance, les plaçant ainsi en contradiction totale avec les non moins nombreux autres versets ou Hadiths où sont exprimés les promesses divines de grâc, de pardon et de miséricorde… 

 

  • mou’tazilites, qui ont dévié en interprétant de façon incorrecte des textes pourtant très clairs en rapport avec le sujet, et ce, afin que ceux-ci soient en conformité avec certaine de leurs thèses prétenduement rationelles –comme par exemple l’impossibilité qu’une personne puisse, tout en étant mou’min, commettre un péché (l’imân étant, en soi, source de bien…), ou encore le devoir, pour Allah, qu’Il punisse celui qui meurt sans se repentir et ne lui accorde pas de place au Paradis (ils considèrent ceci comme étant la conséquence nécessaire de la Justice Divine)… Bien évidemment, ces thèses, tout en s’opposent totalement aux enseignement du Qour’aane ainsi que ceux du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) et des Compagnons (radhia Allâhou anhoum), ne sont rationelles que dans l’imaginaire mou’tazilite… 

 

  • mourdjites, qui se sont écarté de la voie droite en ne considérant que les passages du Qour’aane ou de la Sounnah où il est question de la promesse de grâce et de miséricorde divines, s’aveuglant complètement des textes contenant les avertissements et sévères mise en garde, les sounnites, eux, ont su prendre en considération et ont su concilié entre elles l’ensemble des références en rapport avec la question, c’est-à-dire aussi bien celles contenant des promesses que celles énonçant des avertissements, s’agrippant ainsi à la voie et aux enseignements authentiques du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) et des Compagnons (radhia Allâhou anhoum), comme cela va être démontré dans les lignes suivantes, Incha Allah. 

 

Celui qui commet un grave péché reste musulman et ne devient pas kâfir:

Si les sounnites refusent de considérer la réalisation un grave péché comme un facteur entraînant systématiquement la sortie de l’Islam, c’est notamment en raison de ces versets et Hadiths:

1-« Ô les croyants ! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse, aura un châtiment douloureux. » (Sourate 2 / Verset 178)

Dans ce passage coranique, il est clairement énoncé que le lien de fraternité islamique est toujours présent entre celui qui se rend coupable d’un meurtre et les proches de sa victime… pourtant, l’homicide volontaire, comme indiqué précédemment, compte parmi les péchés les plus graves en Islam.

2- « Et si deux groupes de croyants se combattentfaites la conciliation entre eux. Si l’un d’eux se rebelle contre l’autre, combattez le groupe qui se rebelle, jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordre d’Allah. Puis, s’il s’y conforme, réconciliez-les avec justice et soyez équitables car Allah aime les équitables. Les croyants ne sont que des frères. Établissez la concorde entre vos frèreset craignez Allah, afin qu’on vous fasse miséricorde.  » (Sourate 49 / Versets 9 et 10)

On constate ici que, même dans le cas où deux groupes de musulmans se combattent et s’entretuent, ils ne perdent pas pour autant leur qualificatif de « croyants » (mou’minîn) et qu’ils sont encore présentés comme étant des « frères »

 

3- Oumar (radhia Allâhou anhou) rapporte qu’il y avait, à l’époque du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), un homme qui s’appelait Abdoullah et qu’on surnommait « himâr ». Il avait l’habitude de faire rire le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam). Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) l’avait déjà sanctionné (auparavant pour avoir consommé du) vin. On l’emmena encore un jour (après qu’il ait bu à nouveau); ordre fut donné et il fut sanctionné (encore une fois). Un homme (présent dans) l’assemblée dit: « Ô Allah ! Maudis-le! Il a été conduit ici tant de fois (pour avoir bu)… ! »

Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) répliqua alors: « Ne le maudissez pas ! Par Allah, je ne connais de lui que (le fait qu)‘il éprouve l’amour pour Allah et Son Messager. » (Boukhâri)

En commentant ce Hadith, Ibn Hadjar (rahimahou Allah) . souligne notamment que:

  1. il y a là une réfutation pour ceux qui considèrent que celui qui commet un grave péché devient incroyant; le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a en effet empêché qu’on maudisse cette personne (qui avait pourtant bu de l’alcool) et il a au contraire ordonné qu’on prie en sa faveur (suivant ce qui est rapporté dans d’autres versions);
  2. il est tout à fait possible que l’amour d’Allah et de Son Messager (sallallâhou alayhi wa sallam) soit présent dans le cœur de quelqu’un qui commet des péchés et des actes interdits;
  3. celui qui commet des péchés de façon répétée mais se repent ensuite sincèrement à chaque fois, l’amour pour Allah et Son Messager (sallallâhou alayhi wa sallam) n’est pas retirée de son cœur… 8

***

Allah peut ainsi pardonner une telle personne et l’envoyer au Paradis9même s’il est mort sans se repentir, à partir du moment où il quitte ce monde avec l’imân:

1- Allah proclame dans le Qour’aane:

 « Certes Allah ne pardonne pas qu’on Lui donne quelque associé. A part cela, Il pardonne à qui Il veut. Mais quiconque donne à Allah quelque associé commet un énorme péché. » (Sourate 4 / Verset 48)

Comme le rappelle Ibn Taymiyah (rahimahou Allah), dans ce verset, il est bien évidemment question de celui qui meurt sans se repentir. En effet, pour celui qui se repent avant de mourir, toute sorte de péchés, même le chirk, peut être pardonné, suivant ce qu’Allah annonce Lui-même dans un autre passage coranique:

« Dis : « Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux ». Et revenez repentant à votre Seigneur, et soumettez-vous à Lui, avant que ne vous vienne le châtiment et vous ne recevez alors aucun secours. » (Sourate 39 / Versets 53 et 54)

 

2- Oubâdah Ibnous Sâmit (radhia Allâhou anhou) raconte qu’une fois, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit  –alors qu’il était entouré d’un groupe de ses compagnons (radhia Allâhou anhoum)« Prêtez moi serment d’allégeance que vous n’associerez rien à Allah, que vous ne volerez pas, que vous ne forniquerez pas, que vous ne tuerez pas vos enfants, que vous ne commettrez aucune infamie avec vos mains et avec vos pieds et que vous ne désobéirez pas en ce qui convenable. Celui d’entre vous qui
respecte
(cet engagement), son salaire est dû (auprès) d’Allah. Et celui qui fait une de ces choses et qui est ensuite châtié dans ce monde, ceci lui servira d’expiation. Et celui qui fait une de ces choses, puis Allah le dissimule (c’est-à-dire cache son péché dans ce monde), son sort (dépend) de Dieu: S’Il le veut, Il le pardonnera; et s’Il le veut, Il le châtiera. »
(Boukhâri)

Ibn Hadjar (rahimahou Allah) écrit, après avoir cité ce Hadith:

« Al Mâziniy (rahimahou Allah) dit: « Il y a dans ce Hadith (cité par l’Imâm Boukhâri rahimahou Allah) une réfutation des khâridjites qui rendent les gens incroyants à cause des péchés, ainsi (qu’une réfutation) des mout’azilites qui rendent nécessaire le châtiment du fâsiq (celui qui a commis des péchés graves) et qui meurt sans repentir, car le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a informé (au sujet d’une telle personne) qu’il est soumis à la volonté divine, et il (sallallâhou alayhi wa sallam) n’a pas dit: Il est nécessaire qu’Il le châtie. » Et At Tîbiy (rahimahou Allah) a dit pour sa part: Il y a dans ce Hadith une indication concernant le fait de s’abstenir de témoigner en faveur d’une personne qu’elle ira dans le Feu (de l’Enfer) ou au Paradis, sauf s’il y a une référence qui explicite ceci au sujet de quelqu’un de précis… « 10

 

3- Abou Dharr (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) a dit:

Djibril est venu me rencontrer et m’a annoncé la bonne nouvelle (suivante:) « Quiconque de ta oummah meurt  sans associer quoique ce soit à Allah entrera au Paradis. » Je lui ai demandé: « Même s’il a fait le zinâ et s’il a volé ?… » Il répondit: « Même s’il a fait le zinâ et même s’il a volé !… » (Boukhâri et Mouslim)

 

4- Oubâdah Ibnous Sâmit (radhia Allâhou anhou) a: J’ai entendu le Messager (sallallâhou alayhi wa sallam) dire :  « Celui qui témoigne que personne n’est digne d’adoration à part Allah et que Mouhammad est le Messager d’Allah, Dieu interdit pour lui le (châtiment du) Feu. » (Mouslim)

Ces deux derniers Hadiths, comme de très nombreux autres, montrent bien que la profession de foi musulmane entraîne nécessairement

  • l’accès au Paradis, que ce soit immédiatement ou après avoir passé quelques temps en Enfer pour être purifié de ses péchés
  • la protection contre le Feu de l’Enfer, c’est-à-dire contre le séjour éternel dans le djahannam (le mou’min qui a commis des péchés, s’il n’est pas pardonné par Allah, pourra cependant passer quelques temps dans le Feu – qu’Allah nous en préserve tous-, mais son séjour là bas sera temporaire…)

 

***

Pour autant, un tel individu devient un fâsiq et son péché a pour conséquence d’affaiblir son imân: 

L’acte de désobéissance porte cependant préjudice à l’intégrité du imân: C’est ce qui a été clairement exprimé dans certains Hadiths, parmi lesquels on pourrait citer le suivant à titre d’exemple:  « Le fornicateur ne reste pas croyant au moment où il fornique; le voleur ne reste pas croyant au moment où il vole; le buveur ne reste pas croyant au moment où il consomme l’alcool. » (Boukhâri et Mouslim)

L’Imâm Nawawi (rahimahou Allah) rappelle dans son commentaire du Sahîh Mouslim que, selon l’interprétation la plus juste (celle défendue par les experts), cette Tradition authentique signifie que lorsqu’un musulman commet un des péchés cités, son imân n’est plus complète: Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) disait en effet que, en de telles occasions, la lumière de la foi est extraite du cœur du musulman… 11

 

***

« Koufr i’tiqâdiy » et « Koufr ‘amaliy »…

Il subsiste néanmoins une question importante par rapport à l’avis des sounnites développé plus haut: Comment comprendre les multiples références où des actes de désobéissance ont été carrément été qualifiés de koufr ?… C’est le cas notamment dans les Hadiths suivants:

1- « Injurier un musulman est un péché (fousoûq); le combattre est (un acte de) koufr. » (Boukhâri et Mouslim)

2- « Lorsqu’un homme dit à son frère: « Ô kâfir ! », alors l’un d’entre eux retourne avec ce titre. »(Boukhâri et Mouslim)

3- « Celui qui jure au nom d’autre qu’Allah, il a fait le koufr. » (Mousnad Ahmad – Authentifié par Albâni rahimahou Allah)

A cette question, les savants sounnites répondent que, s’il est vrai que le terme koufr désigne la plupart du temps l’incroyance (« al koufroul akbar » ou « al koufroul i’tiqâdiy), c’est-à-dire la perte totale de la foi et l’exclusion de l’islam, il est néanmoins parfois employé pour désigner des péchés graves (« al koufroul asghar » ou « al koufroul ‘amaliy ») qui ont pour conséquence  d’affaiblir le imân, sans pour autant le faire disparaître complètement, ni entraîner la sortie de l’individu qui le commet de l’islam: C’est justement avec ce second sens qu’il est utilisé dans les textes cités ci-dessus. L’Imâm Tirmidhi (rahimahou Allah), après avoir cité dans son ouvrage de Hadith la première des trois Traditions (celle rapportée par Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), écrit :

Le sens du (mot « koufr » dansla phrase « le combattre est du koufr » n’est pas une incroyance comparable à celle (dans laquelle se trouve la personne) qui apostasie; la preuve en est que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit au sujet de celui qui a été tué délibérément que sa famille a le choix: Soit ils (réclament) l’exécution de l’assassin (et l’application du talion), soit ils le pardonnent… Et si jamais le meurtrier était devenu incroyant, ilaurait été nécessaire (de le tuer). Et il a été rapporté de Ibnou Abbâs (radhia Allâhou anhou), de Tâoûs (rahimahou Allah), de Atâ (rahimahou Allah) et de plus d’un savant qu’ils ont dit: « Il existe un « koufr » moindre que le « koufr » (n.t. dans son sens absolu, l’incroyance) , un « fousoûq » moindre que le « fousoûq »… 12

Ce « koufr » d’une moindre gravité que l’incroyance à laquelle Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) et d’autres ont fait allusion est justement ce qui a été désigné sous l’appellation de « koufr amaliy », les péchés graves. Il convient de souligner cependant qu’il existe certains actes qui suffisent pour entraîner l’apostasie (irtidâd), et ce, parce qu’ils expriment sans aucun doute que celui qui les commet n’a pas l’imân dans son cœur et qu’il n’est pas musulman: C’est le cas par exemple de la prosternation devant une idole, du fait de jeter un exemplaire du Qour’aane dans les ordures (ou de l’abandon volontaire et sans raison valable d’une prière rituelle obligatoire, selon l’avis de l’Imâm Ahmad rahimahou Allah….)

Attention à la nuance entre le « koufr » et le « takfîr »…

Avant de conclure avec cette question, il est important de bien comprendre que s’il est vrai que le fait de considérer licite ce que Dieu a interdit (ou de remettre en question une obligation divine établie de façon formelle) entraîne également le koufr akbar (l’incroyance) 13 , il faut cependant faire extrêmement attention avant de décréter au sujet d’une personne précise qui adopterait une telle attitude (ou qui tiendrait d’ailleurs des propos remettant en question n’importe quel point qui est nécessairement connu comme faisant partie de l’Islam (« ma’loûm minad dîn bidh dharoûrah »), comme par exemple la négation des attributs divins, ou la croyance que la Parole d’Allah est créée…) qu’elle a forcément apostasié et qu’elle est donc sortie de l’Islam… Il est en effet possible qu’il y ait dans son cas particulier la présence de certains facteurs (mawâniout takfîr) ou l’absence de certaines conditions (charâit out takfîr) qui empêchent cela. Il se peut, par exemple, que:

  • la personne concernée n’ait pas eu connaissance des textes contenant le point qu’elle renie (elle vient de se convertir par exemple, ou elle vit dans un lieu éloigné des enseignements de l’Islam…);
  • elle ait eu connaissance de ces textes mais d’une façon telle qu’il ne lui était pas nécessaire de croire en leur véracité;
  • elle était convaincue que le sens de ces textes était autre, ayant été victime d’un malentendu dans leur interprétation;

C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de prendre toutes les précautions possibles avant de prononcer le « takfîr » (décret d’apostasie) d’une personne précise, en s’assurant justement que celle-ci ne peut bénéficier d’aucune circonstance atténuante pouvant excuser son attitude (« la youkaffarou illâ ba’da iqâmatil houddjah wa izâlatich choubhah »).14

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !


Notes:

1- Quelques détails importants concernant le statut de celui qui considère un interdit divin comme licite suivront Incha Allah.

2- Voir les propos de Ibn Abil ‘Izz Al Hanafi (rahimahou Allah) dans son « Cha’rh » de la Aquidah.

3- Secte déviante, ayant fait son apparition à l’époque de Ali (radhia Allâhou anhou) et dont la venue avait été prédite par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). Les membres de ce groupe se caractérisaient notamment par leur grande piété apparente, leur attachement à une approche purement littérale et une compréhension erronée de certains Textes de référence, ainsi qu’une attitude très violente envers tous ceux qui ne partagaient pas leur convictions religieuses. Ali (radhia Allâhou anhou) essaya pendant longtemps de leur faire entendre raison, afin qu’ils arrêtent notamment de porter préjudice aux musulmans qui les entouraient: Il envoya ainsi à une occasion son cousin Abdoullâh Ibn Abbas (radhia Allâhou anhoum) débattre avec eux, répondre à leurs objections et éloigner leurs doutes; suite à cette intervention, si un certain nombre d’entre eux revinrent sur le Droit Chemin, la plupart refusèrent cependant de comprendre. Finalement, lorsque le Calife constata qu’ils n’arrêtaient pas de s’en prendre aux personnes et aux biens des musulmans, il prit la décision de les combattre (non pas parce qu’il les considéraient comme ayant apostasié, mais parce que c’était là le seul moyen de mettre un terme à leurs actes de tyrannie et à leurs abus…) et il les écrasa lors de la bataille de Nehrawân. (Voir à ce sujet les écrits de Ibn Taymiyah (rahimahou Allah) dans son « Qâïdatou ahlis sounnah wal djamâ’ah » – « fasllâ yadjoûzou takfîril mouslim bidhambin fa’alahou »)

4- Autre secte ayant dévié de la voie des « Ahl ous Sounnah wal Djama’ah » sur un certain nombre de points fondamentaux
comme celui du Taqdîr (de la prédestination) etc. On considère souvent que le fondateur de ce mouvement rationaliste était Wâsil Ibn Atâ, qui (au départ du moins) comptait parmi ceux qui assistaient aux assemblées d’enseignement de Hassan Al Basri (rahimahou Allah) : Une fois, alors que fut soulevée une question concernant le sort de celui, parmi les musulmans, qui commettait un péché majeur (kabîrah), il répondit que celui n’était plus mou’min mais qu’il n’était pas kâfir non plus, et qu’il se trouvait en fait dans un statut intermédiaire… C’est alors que Hassan (rahimahoullâh) lui aurait dit: « Éloigne toi de nous wâsil » (i’tazil ‘anna wâsil); d’où le nom de la secte qui se forma à partir de là… Réf: « Fatâwa Mouâsirah » – Volume 3 / Page 208

5- Nom donné à une troisième secte, qui fit également son apparition relativement tôt.

6- Réf: « Târîkh oul Madhâhib Al Islâmiyah » – Page 102

7- Voir à ce sujet les propos attribués à Wâsil Ibn Atâ et cités par Abou Zahrah dans «  »Târîkh oul Madhâhib Al Islâmiyah » – Page 128

8- Réf: Fath oul Bâriy – Volume 12 / Pages 77 et 78

9- Allah peut faire accéder ce genre de personne directement au Paradis; mais Il peut également l’envoyer d’abord en Enfer pendant quelques temps en Enfer, pour le purifier du mal qu’il a fait, avant de lui donner place dans le djannah.

10 – Fath oul Bâriy – Volume 1 / Page 68

11-  Voir Char’h Mouslim – Commentaires du Hadith N°86

12- Réf: Sounan Tirmidhi – Hadith N°2559

13- Comme l’indique les propos de Ibn Abil ‘Izz (rahimahou Allah) cités plus haut, en l’occurrence « (…)nous ne délarons personne « kâfir » en raison d’un péché (qu’il aurait commis) parmi les gens de la Qiblah, tant qu’il ne considère pas son acte comme licite »

14- Voir à ce sujet l’excellent développement de Ibn Taymiyah (rahimahou Allah) dans ses « Madjmou’oul fatâwa »- Volume 12 / Page 485 et suivantes – « fasl masâïl out takfîr wat tafsîq mim masâïl il asmâ » – « mas’alatou takfîr ahlil bida’ï wal ahwâ ».