La vente aux enchères.

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Question: Quel est le point de vue de l’islam sur le principe de la vente aux enchères ?

Réponse: Il y a quelques divergences entre les juristes à ce sujet.

A- La grande majorité des savants (dont ceux des quatre écoles de jurisprudence les plus connues) considèrent le principe de la vente aux enchères comme étant totalement licite.1 Ils basent leur avis essentiellement sur les deux Hadiths suivants:

  • Un homme de la tribu Oudhrah avait décidé l’affranchissement de son esclave après sa mort. Par la suite, il se retrouva dans le besoin. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) prit alors l’esclave et demanda: « Qui désire me l’acheter ? » Nouaïm ibn `Abd-Allah (radhia Allâhou anhou) l’acheta pour tant et tant (huit cent dirhams selon la version du Hadith présente dans le Sahîh Mouslim)… Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui remit l’esclave. (Boukhâri et Mouslim)

    L’Imâm Boukhâri r.a. a cité ce Hadith dans un chapitre où il évoque les ventes licites, et il a apposé comme titre pour l’introduire « Bay’ oul Mouzâyadah » (la vente aux plus offrant). Ibn Battâl r.a. affirme que la proposition de vente du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) (« Qui désire me l’acheter ? ») montre qu’il voulait le vendre à celui qui proposerait le prix le plus important, ce qui permettrait de satisfaire les besoins de l’homme de la tribu de Oudhrah qui était ruiné : selon lui, c’est en considérant cela que l’Imâm Boukhâri r.a. a établi de ce Hadith la permission de la vente aux enchères. (Réf: « Fath oul Bâriy » – Volume 4 / Page 354)

  • Anas (radhia Allâhou anhou) rapporte en ce sens que le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) avait procédé une fois à une vente aux enchères parmi les Compagnons (radhia Allâhou anhoum).(Cité notamment par Tirmidhi – Il est à noter que ce Hadith a été qualifié de « dhaïf » (faible) par pas mal de savants en raison d’un narrateur présent dans sa chaîne de transmission, en l’occurrence Abou Bakr Al Hanafiy, dont la fiabilité est inconnue (madjhoûl) selon Ibn oul Qattân. Néanmoins, l’Imâm Tirmidhi r.a. qualifie ce Hadith de « Hassan » (bon).)

B- Selon l’Imâm Awzâï r.a. et Ishâq r.a., la vente aux enchères n’est permise que pour les biens obtenus en héritage ou en guise de butin. Leur argument à ce sujet est un Hadith rapporté par Ibn Oumar (radhia Allâhou anhou), dans lequel le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) condamne la (réalisation d’une seconde) vente sur celle de son frère (« bay’ ‘alâ bayi ‘akhîh », qui consiste par exemple à faire à une personne sur le point d’acheter quelque chose avec quelqu’un une proposition plus intéressante que celle faite par ce dernier), et ce, tant qu’il (c’est à dire celui qui a engagé la première transaction) n’abandonne pas (la transaction), exception faite (des biens reçus en) héritage ou (en guise) de butin (Ibn Khouzeïma, Dâr Qoutniy).

Par rapport à ce Hadith, le premier groupe de savants affirme que ces propos du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) visent à exclure le principe de la vente aux enchères de l’interdiction générale de « bay’ ‘alâ bayi akhîh »; mais, étant donné qu’à l’époque, la plupart du temps, les enchères n’étaient pratiquées que dans l’héritage ou le butin, voilà pourquoi le Hadith ne mentionne explicitement que ces deux cas de figure: Il n’est donc nullement question ici de limiter la permission du principe des enchères… D’ailleurs, étant donné qu’il n’y a aucune différence entre un bien acquis en héritage ou un bien acquis d’une autre façon licite, il n’y a aucune raison d’établir une distinction entre les deux au niveau du caractère licite de leur vente aux enchères. (Synthèse des propos de Al Irâqi r.a., de Ibn Hadjar r.a. et d’Al Qourtoubi r.a. – Voir notamment « Fath oul  Bâriy » – Volume 4 / Page 354)

C- Ibrâhim An Nakhaï r.a. pense pour sa part que la vente aux enchères n’est pas autorisée. Son argumentation à ce sujet consiste essentiellement en deux éléments:

  • Tout d’abord, il y a un Hadith rapporté du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) qui interdit la vente aux enchères (« bay’ oul mouzâyadah »). (Mousnad Bazzâr)

  • Ensuite, dans plusieurs Hadiths authentiques, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) condamne le « sawm ‘alâ sawmi akhîh » (la surenchère, c’est à dire de proposer au vendeur un prix plus élevé pour sa marchandise, alors que celui-ci est sur le point de le vendre à quelqu’un d’autre…).

Par rapport au Hadith du Mousnad Bazzâr, des spécialistes affirment que sa chaîne de transmission présente une faille. (Voir « As Silsilat oud Dhaïfah » – Volume 8 / Page 449)

Pour ce qui est du second argument, le premier groupe de savants répond en substance que ce genre de Hadiths concerne le cas où le vendeur et la personne qui désire acquérir la marchandise sont parvenus à un accord et que la transaction est sur le point d’avoir lieu  : à ce moment, il n’est plus permis à quiconque d’autre de faire une nouvelle offre au vendeur. Néanmoins, dans le cadre des enchères, la situation est totalement différente: ici, celui qui vend n’est pas immédiatement satisfait du prix qui lui est proposé, et c’est bien pour cette raison qu’il demande à d’autres acheteurs potentiels de surenchérir. Les deux cas ne peuvent donc être comparés.(Voir à ce sujet les propos de An Nawawi r.a. dans son « Char’h Mouslim » – Volume 10 / Page 158)

Bref, le principe de la vente aux enchères est permise en Islam selon la grande majorité des savants, en raison des arguments cités précédemment.

Néanmoins, il est important de préciser, pour conclure, qu’au cours d’une « Bay’ oul Mouzâyadah », toute tentative pour manipuler artificiellement les enchères est strictement interdite: Ce genre de « fausses enchères » relève du « nadjach » et a été interdit par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam).(Boukhâri)

Une des formes du « nadjash » consiste par exemple à enchérir sur un bien en utilisant un leurre, c’est à dire une tierce personne, qui n’a nullement l’intention d’acheter et qui a pour but uniquement de faire monter les enchères afin de pousser les acquéreurs éventuellement intéressés à augmenter le montant de leurs propositions. (Le « nadjach » peut prendre également d’autres formes. Pour plus de détails, voir la déclaration finale énoncée par le « Madjma’oul Fiqh Al Islâmiy » lors de sa huitième session, en 1993 – « Al Fiqh oul Islâmiy wa adillatouh » – Volume 9 / Pages 618 à 620)

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !


Note :

1- Il est à noter cependant que si la vente aux enchères dans son principe ne pose pas problème selon ces savants, il faut vérifier qu’il n’y ait pas, parmi les modalités de sa réalisation, des clauses ou conditions contrevenant aux principes de la législation islamique…