Abou Bakr (ra) s’est-il montré injuste envers Fâtimah (ra) ?

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Énoncé de l’objection:

« Mohammad n’est qu’un messager, des messager avant lui sont passés – S’il mourrait donc ou s’il était tué, retourneriez-vous sur vos talon ? Quiconque retournera sur ses talons ne nuira en rien à Allah; et Allah récompensera les reconnaissants. » Coran 7/10.

Donc, si Allah met en garde les Compagnons, nous sommes en droit de vérifier l’histoire pour nous apercevoir s’ils n’ont fléchi. Pour cela les Hadiths nous seront utiles : Dans le Sahih Boukhari, il est rapporté que le Prophète dit : « Fatima est de moi, qui lui causera du tort me causera du tort. » Dans le Sahih Boukhari toujours, il est dit : « Fatima est morte en étant en colère contre Abu Bakr ». Subhanallah, ceci n’est qu’une partie des raison pour les quelles les Chiites font un Ijtihad sur la vie de certains Compagnons…

Eléments de Réponse: Pour bien comprendre le problème concernant la question du désaccord entre la fille bien-aimée du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), Fâtimah (radhia allâhou anha) et le premier Calife Bien-Guidé, Abou Bakr (radhia allâhou anhou), il est d’abord nécessaire de revenir sur les circonstances mêmes étant à l’origine de ce désaccord :

Les Hadiths nous apprennent, qu’après le départ du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) de ce monde, Fâtimah (radhia allâhou anha) vint réclamer à Abou Bakr (radhia allâhou anhou) un certain nombre de terres (dont celle de « Fadak », situé dans la région du « Hidjâz » et habitée par un groupe de juifs) en guise d’héritage du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). Abou Bakr (radhia allâhou anhou) refusa de lui remettre ces terres et lui rappela le Hadith qu’il avait personnellement entendu du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam):

« Nous autres les Prophètes nous ne laissons aucun bien en héritage. Tout ce que nous laissons derrière nous est aumône. »

(Il est à noter que Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) ne fut pas le seul à avoir entendu le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dire ceci: Ces propos sont également rapportés de Aïcha (radhia Allâhou anha) (Boukhâri – Volume 2 / Page 996) et de Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou) (Boukhâri – Volume 2 / Page 996). Ils ont également été entendus par Oumar (radhia Allâhou anhou), Ousmân (radhia Allâhou anhou), Abdoul Rahmân Ibné Awf (radhia Allâhou anhou), Zoubeïr (radhia Allâhou anhou), Sa’ad Ibné Waqqâs (radhia Allâhou anhou), mais surtout Ali (radhia allâhou anhou) et Abbas (radhia allâhou anhou), tous deux membres unanimement reconnus de la famille du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) (« Ahl oul Bayt ») (Voir Boukhâri – Volume 1 / Page 435, Volume 2 / Pages 575 et 596, Mouslim – Volume 2 / Page 90 et Tirmidhi – Volume 1 / Page 194, entre autres…) Ajoutons à cela le fait qu’il existe des Traditions considérés comme étant fiables dans les ouvrages de référence chiites qui mentionnent aussi de façon explicite que les Prophètes (alayhimous salâm) ne laissent en héritage aucun bien matériel…

Ainsi, Al Koulaïni (qui est considéré comme une référence chez les chiites) cite dans son ouvrage « Al Kâfi » le Hadith suivant: « Certes, les oulémas sont les héritiers des Prophètes et les Prophètes ne laissent en héritage ni dirham, ni dînâr… ils ne laissent en héritage que le « Ilm » (la science)… » Al Madjilisi (autre savant chiite reconnu), commentant les différentes chaînes de transmission de ce Hadith affirme que l’une d’entre elle est fiable et authentique (Réf: « Mir’ât oul Ouqoûl » – Volume 1 / Page 111). Ce qui prouve également l’authenticité de cette Tradition chez les chiites, c’est le fait que Khomeïni le cite comme argument dans son célèbre ouvrage « Al Houkoumat oul Islâmiyah », en précisant clairement que tous les narrateurs de sa chaîne de transmission sont fiables… Bref, il ressort de ces références que même les chiites reconnaissent que les Prophètes (alayhimous salâm) ne laissent aucun bien matériel en héritage. C’est exactement ce que Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) a rappelé à Fâtimah (radhia Allâhou anha) au sujet de la terre de « Fadak ». Où est donc l’injustice dans ce qu’il a fait et dit ??? !!!)

A la suite de ce refus, qui était tout à fait justifié, comme on vient de le voir, il est dit que Fâtimah (radhia allâhou anha) fut mécontente envers Abou Bakr (radhia allâhou anhou) et ne lui adressa plus la parole (Références: Boukhâri et Mouslim). (Une remarque quand même… Est-il établi de façon certaine que Fâtimah (radhia Allâhou anha) n’adressa plus du tout la parole à Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et qu’elle est restée fâchée contre lui jusqu’à sa mort ? Rien n’est moins sûr… comme on va le voir par la suite, Incha Allah.)

Venons en maintenant à vos commentaires sur ce récit: A ce sujet, tout d’abord, sachez que je trouve votre raisonnement très simpliste. En effet, vous vous basez sur le Hadith précédent, ainsi que sur un autre Hadith du Sahih Boukhâri qui mentionne que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit en ce sens: « Celui qui mettra Fâtima (radhia allâhou anha) en colère, alors c’est comme s’il m’a mis en colère. » (en arabe: « man aghdhabaha faqad aghdhabani »), et à partir de là vous faites un « Idjtihâd » (effort de raisonnement et d’interprétation) et vous arrivez à conclure (avec l’appui d’autres « arguments » du même genre) que la foi de Abou Bakr (radhia allâhou anhou) avait fléchi… ??? !!!

Une chose est sûre: Abou Bakr (radhia allâhou anhou) n’a jamais voulu nuire à Fâtima (radhia allâhou anha), ni n’a jamais cherché volontairement à la mettre en colère. Il n’a fait que lui rappeler son devoir en ce qui concernait les biens laissés par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). C’est pourquoi Abou Bakr (radhia allâhou anhou) ne cessait de répéter: « Par Allah ! O fille de l’Envoyé d’Allah ! Que je me comporte bien envers les proches du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) m’est plus cher que d’entretenir de bonnes relations avec ma propre famille ! »

A partir de là, il est clair que les propos du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) ne s’appliquent pas à lui… Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lance en effet un avertissement à ceux qui nuisent à Fâtima (radhia allâhou anha) et la mettent en colère (le mot arabe employé par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) est « Aghdaba » qui signifie mettre quelqu’un volontairement en colère par ses propos ou ses gestes) , non pas ceux contre qui Fâtima (radhia allâhou anha) est en colère… Il y a là une nuance qu’il faut bien comprendre. En effet, il est arrivé qu’elle (radhia allâhou anha) se soit mise en colère contre Ali (radhia allâhou anhou) (Le Hadith qui relate ceci est présent dans le Sahih Boukhâri)… Par exemple, Ali (radhia allâhou anhou) avait voulu prendre comme seconde épouse la fille de Abou Djahal. A cette occasion, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) prononça un sermon et tint les propos cités ci dessus (« « Celui qui mettra Fâtima (radhia allâhou anha) en colère, alors c’est comme s’il m’a mis en colère. » ) Peut-on déduire de là que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) était aussi en colère contre Ali (radhia allâhou anhou) et que la foi de Ali (radhia allâhou anhou) avait fléchi ???…

(Je tiens à ouvrir ici une petite parenthèse: je ne pense pas qu’il appartient à qui que ce soit le droit de faire des « Idjtihad » sur la foi et la condition des compagnons (radhia allâhou anhoum)… surtout pas au sujet de personnes à qui le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a garanti le paradis (comme Abou Bakr (radhia allâhou anhou) et Oumar (radhia allâhou anhou)) !!!)

C’est pour cette raison que je disais qu’il s’agissait là de votre part d’un raisonnement superficiel. Ce n’est certainement pas avec ce genre de déductions que l’on peut arriver à la Vérité. Au contraire, il est nécessaire d’étudier les choses en profondeur, et ce n’est qu’à ce moment qu’on pourra arriver à une conclusion digne de ce nom…

Mais ce n’est pas tout… Si vous persistez à considérer que sur ce point Abou Bakr (radhia allâhou anhou) avait tort, et qu’il a bel et bien cherché à nuire à Fâtima (radhia allâhou anha), alors vous aurez beaucoup de mal à expliquer les éléments suivants:

  1. D’après la jurisprudence chiite, une femme ne peut recevoir de terres en héritage.Beaucoup d’entre vous doivent déjà le savoir, il existe quatre ouvrages fondamentaux pour les chiites, appelés « Ousoul Arbaa' », sur lesquels repose la grande majorité des règles de jurisprudence. Ces ouvrages sont les suivants:
  • « Al Djâmi’ oul Al Kâfi » , de Abou Ja’far Mouhammad Ibné Ya’qoub Koulayni Râzi (décédé en l’an 328 de l’Hégire)
  • « Man lâ yahdhourouhoul faqîh », de Cheikh As sadouq Mouhammad Ibné Ali Ibné Houssayn Al Qoummi (décédé en l’an 381 de l’Hégire)
  • « Al Istibsâr » de Abou Ja’far Mouhammad Ibné Al Hassa At Toûsi (décédé en l’an 460 de l’Hégire)
  • « Tahdhîb oul Ahkâm » du même auteur.

Ces quatre ouvrages mentionnent de façon explicite la règle juridique à laquelle je viens de faire allusion. A titre d’exemple, sachez que le livre « Fourou’ Kâfi » y a même consacré un chapitre, intitulé « Les femmes n’héritent rien des terres« . (Volume 7 / Page 127). A partir de là, il est clair que la décision de Abou Bakr (radhia allâhou anhou) était en conformité totale avec la jurisprudence chiite. Pourquoi donc dès lors lui reprocher cela ? Quelle injustice a-t-il commis ?

  • Ensuite, comme vous le savez tous, Ali (radhia allâhou anhou) est resté Calife durant 4 ans et 9 mois. Pouvez vous me dire (preuves à l’appui) s’il a remis les terres en question aux héritiers de Fâtimah (radhia allâhou anha), celle-ci étant déjà décédée à ce moment ? S’il ne l’a pas fait (et c’est bien le cas, comme cela est établi d’après les sources historiques…), cela signifie-t-il pour vous que Ali (radhia Allâhou anhou) a aussi commis une injustice à ce sujet, à l’instar de ce qu’aurait fait Abou Bakr (radhia allâhou anhou) (d’après les Chiites, bien sûr) ?
  • Comme mentionné plus haut, Abou Bakr (radhia allâhou anhou), ainsi que beaucoup d’autres Compagnons (radhia allâhou anhoum), parmi lesquels Ali (radhia allâhou anhou) et Abbas (radhia allâhou anhou), avaient entendu le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dire que ce qu’il laissait après lui était considéré comme aumône, et qu’il ne devait être donné en héritage à qui que ce soit. D’après vous, Abou Bakr (radhia allâhou anhou) aurait du abandonner ce Hadith clair et explicite du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), qui était « Ma’soum » (infaillible et pur de tout péché), en donnant ces terres à Fâtima (radhia allâhou anha) ?
  • Si quelqu’un d’autre parmi les illustres « Ahl Bayt » (gens de la famille du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)) aurait été à la place de Abou Bakr (radhia allâhou anhou), il y a de très fortes chances qu’il aurait fait exactement la même chose que lui… Allâmah Ibné Kathir r.a. nous rapporte dans son célèbre ouvrage « Al Bidâya wan Nihâya », avec sa propre chaîne de transmission, les propos suivants de Imâm Zayn oul Abidin Ali Ibnil Housayn Ibné Ali Ibné Abi Tâlib (radhia allâhou anhou) (qui, pour les Chiite, est un des 12 Imâms infaillibles): « Si j’avais été à la place de Abou Bakr (radhia allâhou anhou), j’aurais rendu le même jugement que lui en ce qui concerne les terres de « Fadak ». » (Réf: « Al Bidâya wan Nihâya » : Volume 5 / Page 290)

Autre chose: Fâtimah (radhia Allâhou anha) n’était pas l’unique héritière du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam); il y avait également ses épouses (radhia Allâhou anhounna) qui étaient présentes, parmi lesquelles la propre fille de Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), Aïcha (radhia Allâhou anha)… Il est important de noter que Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), en raison du Hadith cité plus haut concernant l’héritage des Prophètes (alayhimous salâm), ne donna à personne, pas même à sa propre fille une part de cette terre de « Fadak ». Pourquoi donc les chiites ne mentionnent-ils pas ce fait essentiel lorsqu’ils évoquent la question de « Fadak » ?Pourquoi ne focalisent-ils le débat que sur le refus opposé à Fâtimah (radhia Allâhou anha) ? Pourquoi ne précisent-ils pas que Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) n’a pas non plus donnée une part de cette terre en héritage à sa propre fille, ainsi qu’aux autres épouses du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) ? Est-ce là une marque d’objectivité de la part des chiites ? Ne serait-ce pas plutôt là une méthode choisie pour essayer de faire croire en l’existence d’une animosité personnelle de la part de Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) envers Fâtimah (radhia Allâhou anha), et ce, dans le seul but de le discréditer ?…

Ce n’est pas fini: Vous basez votre déduction (ou « Idjtihâd ») concernant un éventuel fléchissement de la foi de Abou Bakr (radhia allâhou anhou) sur le fait que Fâtimah (radhia allâhou anha) est morte en étant fâchée contre lui… Pour information, sachez que nous savons, de sources sûres, que la colère de Fâtima (radhia allâhou anha) avait par la suite disparu, et qu’elle était à nouveau satisfaite de Abou Bakr (radhia allâhou anhou). Cela est mentionné dans un certain nombre de Traditions rapportées par d’illustres savants comme Allâmah Ibné Kathîr (« Al Bidâyah wan Nihâya »: Volume 5 / Page 290), Hâfidh Ibné Hadjar (« Fath oul Bâri' »: Volume 6 / Page 202), Allâmah Ayni(« Oumdat oul Qâri' » : Volume 7 / Page 122) , l’Imâm Bayhaqui r.a. (« Sounan Bayhaqui » : Volume 6/ Page 301), Ibné Sa’d r.a. (« At Tabqât » : Volume 8/Page 27), Mouhibb At Tabri r.a. (« Riyâdh oun Nadhrah » : Volume 1 / Pages 156-157). Par ailleurs, le célèbre « Moudjtahid » Chiite Allâmah Bahrâni rapporte lui aussi que Fâtimah (radhia allâhou anha) fut, par la suite, satisfaite du jugement de Abou Bakr (radhia allâhou anhou) (Référence: « Charh’ Nahdil Balâghah » , Page 543) Donc, Fatimah (radhia allâhou anha) n’est pas morte en étant fâchée contre Abou Bakr (radhia allâhou anhou)… Résultat: Votre déduction ne « tient » plus…

Néanmoins, on pourrait se dire que dans un certain nombre de Hadiths authentiques rapportés de Aïcha (radhia Allâhou anha), il est clairement indiqué qu’en raison du refus de Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), Fâtimah (radhia Allâhou anhou) fut mécontente de lui; et il est également précisé qu’« elle se mit en colère contre lui, le délaissa et ne lui adressa plus la parole jusqu’à ce qu’elle mourut »

Ces éléments se posent en contradiction par rapport à ce qui a été avancé plus haut. Des savants se sont donc penchés sur la question afin de lever cette contradiction; et voici la conclusion à laquelle ils sont arrivés:

La partie du Hadith qui affirme que Fâtimah (radhia Allâhou anha) délaissa Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et ne lui adressa plus la parole jusqu’à ce qu’elle quitte ce monde n’est pas de Aïcha (radhia Allâhou anha). Il s’agit là d’une déduction personnelle faite par un des narrateurs du Hadith et qui a été introduite au milieu des propos rapportés de Aïcha (radhia Allâhou anha).

Parmi les éléments indiquant cela, il y a notamment le fait que le récit des échanges qui eurent lieu entre Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et Fâtimah (radhia Allâhou anha) au sujet de la terre de « Fadak » sont rapportés de 36 voies différentes (selon les recherches effectuées par Cheikh Mouhammad Nâfi’ – Voir son ouvrage « Rouhamâou Baynahoum » en langue ourdou – Volume 1 / Page 126 et 127) , parmi lesquelles 11 versions sont rapportées d’un narrateur autre que l’Imâm Az Zouhri r.a.: Dans toutes ces versions, il n’est fait aucune allusion à la colère de Fâtimah (radhia Allâhou anha), ni au fait qu’elle ait délaissé Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), ni même qu’elle ne lui ait plus adressé la parole jusqu’à sa mort. Les 25 versions suivantes reposent sur le rapport de l’Imâm Az Zouhri r.a.; parmi toutes ces versions, il y a en 9 qui ne mentionnent, là encore, rien au sujet de ce qui a été évoqué ci-dessus. Seules les 16 versions restantes y font allusion… C’est donc à partir de ce constat que des savants ont pu déduire que les commentaires concernant l’attitude de Fâtimah (radhia Allâhou anha) ont été rajoutés et introduits (« Idrâdj ») dans la Tradition originale par l’Imâm Az Zouhri r.a. Il est d’ailleurs établi au sujet de ce dernier qu’il avait l’habitude d’introduire des commentaires personnels dans les Traditions qu’il rapportait, sans toujours prendre le soin de les différencier clairement des propos originels qu’il citait des Compagnons (radhia Allâhou anhoum); on rapporte ainsi que certains de ses contemporains lui avaient fait la remarque suivante: « Différencie bien tes propos de ceux du Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam) ». (Voir notamment les écrits de Hâfidh Ibné Hadjar r.a. ou de Katîb Al Baghdâdi r.a. à son sujet).

Quand on considère donc que les commentaires au sujet de la réaction de Fâtimah (radhia Allâhou anha) ont été rajouté par Az Zouhri r.a., on se trouve face à deux possibilités:

  • Soit il s’agissait là d’une déduction personnelle de sa part, auquel cas ses propos n’ont pas valeur d’arguments…
  • Soit il a mentionné là des choses qu’il avait entendu de certaines personnes, sans pour autant citer de chaîne de transmission propre pour ces propos en particulier. Tout au plus, on peut considérer ces propos comme étant un « Irsâl » de sa part (dans le vocabulaire de la science des Hadiths, on appelle « Irsâl » les propos qu’un Tâbéi (personne de la génération suivant celle des Compagnons (radhia Allâhou anhoum)) cite directement du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), sans faire mention du Compagnon (radhia Allâhou anhou) intermédiaire de qui il tient ces propos)… Et selon l’avis des spécialistes de la science des Hadiths, les « Marâsîl » (pluriel de « Moursal », c’est à dire les narrations rapportées par « Irsâl »)de Az Zouhri r.a. ne sont pas considérés comme étant fiables (Voir « Tahdhîb out Tahdhîb » – Volume 9 / Page 451 et « Tadrîb oul Râwi » – Volume 1 / Page 205). Surtout que ces « Marâsîl » de Zouhri r.a. sont clairement en contradiction avec toutes les Traditions évoquées plus haut et qui indiquent que, par la suite, Fâtimah (radhia Allâhou anha) accepta de se réconcilier avec Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et fut satisfaite de lui…

C’est la raison pour laquelle, la version donnée par Ibné Kathîr r.a. de ce qui s’est réellement passé entre Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et Fâtimah (radhia Allâhou anha) apparaît comme étant la plus juste et la plausible:

Selon lui, au départ, Fâtimah (radhia Allâhou anha) était bien venue réclamer les terres de « Fadak » à Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) en guise d’héritage de la part de son père, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). Lorsque Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) lui rappela les propos du Messager (sallallâhou alayhi wa sallam) portant sur le fait que l’ensemble de ce que les Prophètes (alayhimous salâm) laissaient derrière eux en quittant ce monde était considéré comme aumône et ne pouvait être hérité, elle accepta cela et ne réclama plus cet héritage. Par contre, elle demanda que la gestion des terres de « Fadak » leur soit confiée, à elle et à son époux, Ali (radhia Allâhou anhou). Mais Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) là encore ne lui donna pas une réponse favorable, arguant du fait qu’étant le « Khalifah » (remplaçant) du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), il ne désirait pas changer la méthode de gestion de ces terres par rapport à ce qui se faisait du vivant du Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam): Ainsi, il continua a donner la part qui leur revenait de droit aux « Ahl oul Bayt » (membres de la famille du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)), exactement comme le faisait le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam). C’est à cause de ce refus de sa part que Fâtimah (radhia Allâhou anhou) fut quelque peu mécontente; cependant, le mécontentement disparut pas la suite et elle fut à nouveau satisfaite de lui. (Réf: « Al Bidâya wan Nihâya » – Volume 5 / Page 289)

Selon Moufti Taqui Ousmâni, le désaccord entre Fâtimah (radhia Allâhou anha) et Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) pourrait être considéré comme une divergence d’avis, tel qu’il en existe entre les juristes sur de nombreuses questions:

Ainsi, selon l’interprétation de Fâtimah (radhia Allâhou anhou), rien n’empêchait que la gestion des terres de « Fadak » ne lui soit confiée à elle ou à son époux. Mais selon l’avis de Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), la gestion de ces terres devait rester aux mains du responsable des musulmans.

Dans ce genre de divergence d’opinion, il est vrai qu’une certaine crispation peut apparaître entre les personnes concernées, mais on ne peut en aucun cas parler dans ce genre de situation de haine ou d’animosité entre elles… Cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour quiconque ayant un minimum de connaissance des nobles qualités que possédaient les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) et le peu d’attachement qu’ils portaient pour les choses de ce monde..

« Radhia Allâhou Anhoum ‘Adjmaïn »

Qu’Allah les agrée tous.

Âmine

Bref, ce qui ressort de tout ce que nous avons vu, c’est qu’il complètement faux d’affirmer que Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) s’est montré injuste envers Fâtimah (radhia Allâhou anha)… Il n’appartient par ailleurs à personne de spéculer sur sa foi et son intégrité… surtout que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui avait déjà, de son vivant, annoncé la bonne nouvelle du Paradis…

Wa Allâhou A’lam !

Et Allah est Plus Savant !


Remarque: Cette réponse a été rédigée à partir, notamment, de deux excellentes études réalisées par Moufti Taqui Ousmâni (« Takmila Fath oul Moulhim ») et Cheikh Mouhammad Sarfrâz Khan (« Irchâd ouc Chi’ah »). Qu’Allah leur récompense pleinement pour les efforts qu’ils ont déployé pour le rétablissement de la vérité et pour laver les nobles Compagnons (radhia Allâhou anhoum) du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) de toutes les accusations mensongères qui ont été portées contre eux. Âmine