Message à l’occasion de la fête du sacrifice
Chers frères et sœurs,
Dans un Hadith, il est rapporté du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) qu’il a dit en ce sens que, parmi les gens, ceux qui sont les plus éprouvés sont les Prophètes d’Allah (alayhimous salâm), puis ceux qui sont les plus exemplaires (« al amthal ») et ainsi de suite… (« Sounan Tirmidhi », « Hadith Hassan Sahîh » – Authentique)
Nous avons justement une manifestation frappante de ces propos du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) dans le récit du sacrifice ordonné par Allah à Ibrâhim (alayhis salâm). Dans le présent article, je vous propose un bref rappel concernant ce sacrifice d’Abraham (alayhis salâm).
Dans un premier temps, Incha Allah, on évoquera très brièvement le déroulement de cette épreuve, puis nous essaierons de voir, dans un second temps, quelques réactions que doit nous inspirer cet acte remarquable et mémorable…
Pour ce qui est du récit, que nous connaissons tous déjà plus ou moins, les sources musulmanes nous le relatent de la façon suivante:
Ibrâhim (alayhis salâm), après avoir tenté vainement de convaincre son peuple du rejet de l’idolâtrie et de l’attachement à la reconnaissance de l’unicité d’Allah, va finir par prendre la décision de quitter les siens et d’émigrer vers un lieu où il serait à l’abri des persécutions et où il pourrait s’adonner en toute quiétude et toute sérénité à l’adoration de Son Seigneur. Au moment de son départ, il va demander à Allah de lui accorder une pieuse progéniture. Son invocation est acceptée et il reçoit alors la bonne nouvelle de la naissance future d’un fils longanime (« halîm »), Ismaïl (alayhis salâm). Ibrâhim (alayhis salâm) va avoir ainsi son premier enfant, alors qu’il a déjà atteint un âge très avancé (86 ans, selon certains rapports). On peut aisément imaginer, dans ces conditions, quel est l’attachement et l’affection qu’il va éprouver pour ce fils (unique, à ce moment)… C’est en gardant cela à l’esprit que l’on doit à présent considérer le rêve qu’il va faire quelques années plus tard:
Une fois, alors que Ismâïl (alayhis salâm) à atteint l’âge où il est mesure d’accompagner et d’assister son père (selon certains, il est alors âgé d’environ 13 ans), ce dernier voit en rêve (selon certaines Traditions citées par l’Imâm Qoutoubi r.a., il semblerait que cela s’est répété durant trois nuits consécutives…) qu’il est en train d’égorger son fils unique. Il comprend alors que c’est là un commandement qu’il reçoit de la part d’Allah: En effet, le rêve d’un prophète est considéré comme étant toujours véridique (« Rou’yâ Sâdiqah »), et à ce titre, il constitue une Révélation divine (« wahiy ») à laquelle le Prophète est obligé de se soumettre. (Ce point est explicitement mentionné dans un Hadith rapporté par Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) et présent dans les « Sounan Tirmidhi »; on trouve également des propos allant en ce sens dans au moins deux narrations du « Sahîh Boukhâri ».) 1
Cette injonction que Ibrâhim (alayhis salâm) reçoit à ce moment est une épreuve terrible de la part d’Allah… Il n’hésite néanmoins pas un instant à se soumettre à ce commandement divin, à l’instar de ce qu’il avait déjà fait des années plus tôt, lorsqu’Allah lui avait ordonné de laisser ce même enfant et sa mère dans une plaine aride et déserte (voir à ce sujet le verset 37 de la sourate 14 et le long récit détaillé qui est rapporté du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) et qui est présent notamment dans le Sahîh Boukhâri).
Cependant, comme cet ordre divin ne porte pas seulement sur sa personne, mais touche aussi celle de son fils, Ismâïl (alayhis salâm), c’est pourquoi il lui fait part de son rêve… 2
C’est alors au tour de Ismâïl (alayhis salâm) de manifester l’intensité de sa foi, l’étendue de sa soumission envers Allah et son extraordinaire attachement à réaliser la volonté de son père. Dès qu’il prend connaissance du rêve, il est immédiatement prêt au sacrifice et proclame que, s’il s’agit là de la volonté d’Allah, alors, Incha Allah, il va faire preuve d’endurance.
Le père et le fils se mettent donc en route vers l’endroit où va avoir lieu le sacrifice (en l’occurrence la plaine de Minâ, proche de Makkah, comme cela est rapporté de Moudjâhid r.a., l’élève de Ibnou Abbâs (radhia Allâhou anhou)). Arrivé sur place, Ibrâhim (alayhis salâm) attache son enfant, suivant en cela la volonté de celui-ci. Après avoir aiguisé la lame, il l’allonge face contre terre (afin de ne pas croiser son regard, ce qui aurait amplifié sa peine- Réf: Propos de Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou), Moudjâhid r.a., Saïd Ibn Djoubaïr r.a. et Adh Dhahâk, cités par Ibné Kathîr dans « Al Bidâya wan Nihâya ») et commence à passer le couteau sur son cou.
Certains rapports relatent qu’à ce moment, Allah a empêché à la lame de trancher. D’autres évoquent la matérialisation d’une plaque de cuivre, faisant obstacle entre le couteau et le cou. En tous les cas, ce qui est sûr, c’est qu’Ismâïl (alayhis salâm) n’est pas blessé. La révélation divine vient alors apporter à Ibrâhim (alayhis salâm) la bonne nouvelle qu’il a passé avec sucès l’épreuve et qu’il a bien matérialisé l’ordre donné en rêve. 3 Allah lui ordonne alors d’égorger à la place de son fils un bélier qui est envoyé du paradis (comme cela est rapporté de Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) – « Al Bidâya wan Nihâya ») en compagnie de Djibräil (alayhis salâm). Ibrâhim (alayhis salâm) saisit alors l’animal et l’égorge. (Les grandes lignes de ce récit sont évoquées dans le passage suivant du Qour’aane: Sourate 37 / Versets 100 à 110.)
C’est justement ce geste que nous, musulmans, avons reçu l’ordre de faire revivre tous les ans. Dans la jurisprudence islamique, l’emphase est bien mis sur le respect de ce rituel (« oudhiya »), au point où, les savants de l’école hanafite vont même jusqu’à considérer que l' »Oudhiya » est « wâdjib » (nécessaire) (pour celui qui répond aux critères définis).
Néanmoins, il faut bien souligner que le rituel du sacrifice ne se limite pas à égorger un animal, à consommer et à distribuer sa chair… Il ne s’agit pas seulement de reproduire des actes et des gestes physiques de Ibrâhim (alayhis salâm), sans s’imprégner des sentiments et du comportement qu’il a témoigné alors. Se soucier uniquement de l’aspect pratique de l' »Oudhiya » reviendrait à faire perdre son âme à cet acte important. En d’autres mots, ce que l’on doit commémorer, c’est aussi bien le geste que l’esprit du sacrifice d’Abraham (alayhis salâm).
D’où l’importance de considérer les enseignements qui ont été mis en valeurs par les oulémas à partir de ce récit. Dans les lignes suivantes, je ne vais en citer que deux:
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La première chose que nous enseigne le sacrifice d’Ibrâhim (alayhis salâm), c’est la soumission totale et inconditionnelle face aux commandement divins. En effet, Ibrahim (alayhis salâm) n’a, à aucun moment, cherché à se défiler face à ce qui lui avait été ordonné par Son Seigneur. Au contraire, il a manifesté une obéissance sans faille. Le message pour nous est clair: A partir du moment où nous avons foi en Allah, que nous Le reconnaissons avec tous Ses Attributs de perfection (entre autres, la Sagesse, la Justice, l’Equité, la Bonté, la Miséricorde, la Toute Puissance, la Propriété Ultime…), lorsque nous nous trouvons face à une obligation venant de Lui, nous n’avons d’autre alternative que mettre en application ce qui nous est ordonné, et ce, avant même de chercher à savoir si on peut trouver une explication « rationnelle » pour cette injonction divine. (Dans l’absolu, il est évident que tout commandement divin est porteur de Sagesse, étant donné qu’Allah est « Al Hakîm », le Sage par Excellence. Mais à notre niveau, avec nos facultés rationnelles et nos capacités de déduction et de perception si limitées, il serait vraiment prétentieux (et le terme est faible…) de notre part de conditionner notre soumission à Allah à notre « compréhension »… ) Il est vrai que, de nature, nous sommes animés par le désir profond de comprendre le « pourquoi » des choses en général, et, dans le domaine rituel en particulier, d’adopter une adhésion et une pratique « éclairées » (plutôt qu’un « suivi aveugle ») ; c’est pour cette raison que les oulémas se sont souvent efforcés de faire ressortir (à partir des références premières elles-mêmes, ou par effort de réflexion) les sagesses et les motivations qui sont liées aux devoirs religieux. Mais il faut être bien clair: Un(e) musulman(e) est avant tout et surtout soumis(e) face Allah. A partir de là, lorsqu’il est face à un ordre divin, s’il arrive à en saisir les motivations et les sagesses qui y sont liées, c’est très bien (« Noûroun ‘alâ noûr » – « lumière sur lumière »); mais s’il n’arrive pas à cerner le « pourquoi » de la prescription, cela ne doit en rien influer sa soumission et son obéissance.
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Le sacrifice d’Ibrâhim (alayhis salâm) est également un appel vibrant de « Tawhîd », de la reconnaissance de l’Unicité d’Allah. Le qualificatif d’Ibrâhim donné par le Qour’aane est « Hanîf », qui signifie qu’il s’était détourné de toute autre chose pour se vouer exclusivement à Allah. A tel point qu’il ne tolérait pas que l’amour et l’attachement pour une créature (même s’il s’agit de son fils cher et unique…) dépasse (ou égale) son amour pour Allah. Voilà encore une qualité de Ibrâhim (alayhis salâm) de laquelle nous devons nous inspirer profondément. Attention, cela ne signifie pas pour autant que le « Tawhîd » implique que l’on ne doit pas aimer ses proches (et par extension, on ne doit pas être attiré ou attaché à tout ce qui est lié à la vie matérielle -« ad dounyâ ») : L’amour pour les siens est naturel, et ce n’est certainement pas l’Islam, le « dîn oul fitrah » (religion conforme à la nature primordiale), qui cherchera à étouffer ce sentiment. Par contre, ce que l’Islam condamne sévèrement, c’est qu’on laisse s’interposer cet amour entre nous et la soumission aux règles divines. Violer ces dernières pour des intérêts matériels, c’est quelque part élever des créatures au stade de « divinités », et risquer de tomber ainsi dans le « Shirk » (association à Allah).
Qu’Allah accepte nos sacrifices et qu’Il renforce notre Tawhîd et notre soumission. Âmin
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !
1– On pourrait se demander pourquoi une injonction si importante n’a pas été révélée à Ibrâhim (alayhis salâm) par l’intermédiaire d’un ange, comme ce fut le cas pour les autres commandements divins… L’Imâm Râzi r.a. explique que c’est peut être pour donner une occasion supplémentaire à Ibrâhim (alayhis salâm) de manifester devant l’Humanité l’étendue de sa soumission. En effet, n’ayant pas reçu d’ordre de façon explicite, il aurait bien pu essayer de trouver un échappatoire à cette épreuve en interprétant ce rêve d’une autre façon. Au lieu de cela, Ibrâhim (alayhis salâm) va s’empresser de mettre en application ce qu’il avait vu…
2– La question que l’on peut se poser ici est de savoir pourquoi Ibrâhim (alayhis salâm) n’a-t-il pas obéi et appliqué l’ordre divin immédiatement et pourquoi a-t-il consulté son fils en lui demandant son avis… A cette question, les oulémas répondent que s’il a agi ainsi, c’est dans le souci de faciliter la réalisation du sacrifice, aussi bien à lui même qu’à son fils: En effet, plutôt que de le saisir par surprise et de l’égorger violemment sous la contrainte, il va préférer le mettre au courant de l’ordre d’Allah, et lui donner ainsi l’occasion de se préparer pour cette épreuve…
3– Il est fort possible que Ibrâhim (alayhis salâm) a seulement eu la vision qu’il était en train de passer le couteau sur la gorge de son fils… et qu’il n’a pas vu si celui-ci a au réellement la gorge tranchée ou non…
- Par Mouhammad Patel
- Le 22 février 2002