Le Badâ

image_pdfimage_print

Que signifie ce terme ?

Le terme « Badâ », littéralement, signifie « apparaître », « se manifester ». Cependant, il est aussi employé en langue arabe pour désigner « une opinion nouvelle ». Ainsi, quand on dit: « Badâ lahoû fil amr », cela se traduit par « Il a eu une nouvelle opinion concernant cette chose ».

Le mot « Badâ » est présent dans le Qour’aane avec ces deux sens:

C’est à Allah qu’appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Que vous manifestiez (« toubdou' » dans le texte coranique, forme conjuguée du verbe « bada' ») ce qui est en vous ou que vous le cachiez, Allah vous en demandera compte. Puis Il pardonnera à qui Il veut, et châtiera qui Il veut. Et Allah est Omnipotent. (Sourate 2 / Verset 284)

Puis, après qu’ils eurent vu les preuves (de son innocence), il leur sembla (« badâ lahoum » en arabe) qu’ils devaient l’emprisonner pour un temps. (Sourate 12 / Verset 35)

Il est clair à partir de là qu’on ne peut faire usage de ce mot dans son sens littéral pour Allah, l’Omniscient. Il n’est en effet pas possible de concevoir, au sujet du Créateur Tout Puissant, qu’une chose nouvelle, qu’Il ne connaissait pas avant, lui est apparue.

Il est à noter cependant que dans un Hadith authentique du « Sahîh Boukhâri », le terme « Badâ » a été lié à Allah; ce Hadith, qui relate l’histoire de trois personnes parmi les israélites qui avaient été éprouvées par Allah, commence ainsi:

Abou Houraïra (radhia Allâhou anhou) rapporte qu’il a entendu le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) dire: « Il y avait parmi les enfants d’Israël trois hommes qu’Allah voulut éprouver: un lépreux, un aveugle et un chauve (…) »

Mais au sujet de ce genre de cette Tradition, les savants sounnites, ont clairement déclaré que le mot « Badâ » n’y était en aucun cas utilisé dans son sens littéral. Voici ce que Ibné Hadjar r.a. écrit dans son commentaire du « Sahih Boukhâri », intitulé « Fath oul Bâri »:

« Quand à l’expression « bada lillâhi », (…), son sens est « (cette volonté) était déjà présente dans la Science Divine (depuis toujours) et Allah a voulu le manifester. » Et le sens n’est pas du tout que celle-ci est apparue à Allah, après être restée dissimulée, car cela est impossible en ce qui concerne Allah. » (« Fath oul Bâri' » – Volume 6 – Page 501)

En d’autres mots, on pourrait dire que dans ce genre de Hadiths, le terme « Badâ » se rapporte à la condition des créatures: Ainsi, lorsque le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) dit: « Badâ lillâhi« , cela désigne une volonté divine qui a toujours été, mais qui, du fait qu’elle était restée dissimulée des hommes jusqu’à présent, elle n’en reste pas moins nouvelle par rapport aux créatures. Il est clair ici que le terme « Badâ » ne porte nullement atteinte aux Attributs Divins de Perfection.

Après cette brève mais nécessaire introduction au sujet du sens littéral du mot « Badâ » ainsi que le sens avec lequel il est utilisé dans les références sounnites, je vous propose de voir ce qu’il représente dans la doctrine chiite.

Le « Badâ » dans le chiisme.

Dans la doctrine Chiite, le terme « Badâ » se réfère à un article fondamental de la croyance, comme le laisse clairement comprendre les passages suivants présent dans un de leurs ouvrages de référence:

  • On n’a jamais adoré Allah par une chose telle que le « Badâ » (« Osoûl oul Kâfi » – « Kitâb out Tawhîd » – « Bâb oul Badâ » – Volume 1 / Page 146)
  • « Et Allah n’a jamais envoyé un Prophète si ce n’est avec l’interdiction du vin et l’approbation du « Badâ » pour Allah. » (« Osoûl oul Kâfi » – Volume 1 / Page 148)
  • « Et si les gens savaient la récompense contenue dans les propos sur le « Badâ », il ne lasseraient jamais d’en parler. » (« Osoûl ous Kâfi » – Volume 1 / Page 148)

La question qui se pose maintenant est de savoir quel est le sens de cette doctrine pour eux…

A ce sujet, quand on se réfère à leurs ouvrages de référence, on se rend compte que le mot « Badâ » y est employé pour Allah dans son sens littéral. Ce qui signifie que, selon ces références, apporter foi au « Badâ » consiste à croire qu’Allah peut parfois prendre une décision et que,par la suite, il Lui apparaît une chose qui ne Lui était pas connue auparavant; Il modifie alors en conséquent Sa décision. (Cette définition de la doctrine du « Bada' » apparaît de façon très claire dans des ouvrages tels que « Ousoûl Oul Kâfi » (voir par exemple Volume 2 / Page 228 ou Volume 1 / Page 382), « Kanzoul Fawâïd », « Adh Dhari’ah »… )

On pourrait se demander ce qui a pu provoquer l’adoption d’une telle doctrine… Pour comprendre cela, il convient d’abord de revenir dans un premier temps sur le sens d’une notion très importante pour le Chiisme et qui est celle de l' »Imâmat »:

Alors que pour les « Ahlou-sounnah wal Jama’ate » (appelés aussi les « Sounnites », qui représentent la grande majorité des musulmans), l’Imam n’a pour fonction que de diriger la prière, pour les Chiites, au contraire, l’Imâm a une fonction autrement plus importante. Selon eux, l’Imamat est un concept qui participe de la foi, au même titre que la croyance en un Dieu Unique. Toujours selon eux, l’Imâm représente l’unique source d’autorité spirituelle, temporelle et politique pour la communauté musulmane dans son ensemble. Cette autorité lui est confiée par décret divin, et il détient des pouvoirs miraculeux et une connaissance de l’Invisible, comparable à celle de Dieu. L’Imam est à leur yeux un être infaillible, qui représente le lien indispensable entre Dieu et les hommes. L’obéissance due à l’Imâm doit être totale. Dans le Chiisme, l’Imâmat est héréditaire etse transmet du père au fils aîné. Selon eux, l’Imâmat est une institution divine, et personne ne peut s’arroger le droit de modifier l’ordre de succession défini par Allah.

C’est justement suivant ce principe que, selon les chiites, l’Imâm Dja’far r.a. aurait désigné de son vivant son fils aîné, Ismâïl r.a., pour le succéder et aurait proclamé alors publiquement sa décision. Cependant, il y eut un problème: Ismâïl r.a. mourut avant son père ! Résultat: le droit de succession passa directement au fils cadet de l’Imâm Dja’far r.a., nommé Moussa r.a. Ainsi, la succession dévia de sa voie naturelle, c’est à dire venant du père et allant vers le fils aîné. A partir de là, une scission apparut au sein des partisans de l’Imâm Dja’far r.a.

Certains refusèrent de reconnaître à Moussa le droit de succéder à son père. Ils se démarquèrent des autres et formèrent un nouveau groupe, qui progressivement donnera naissance à la secte « Ismâëlite » (du nom du fils aîné de l’Imâm Dja’far r.a.). Mais la majorité acceptèrent Moussa comme successeur. A partir de là, comme le système de succession héréditaire allant du père au fils aîné venait, d’après les Chiites, directement d’Allah, ils eurent recours à la notion du « Bada' » pour défendre leurs doctrines, quitte pour cela à attribuer ce changement de choix à Allah.

Au sujet de la succession de l’Imâm Dja’far r.a. donc, d’illustres savants chiites affirmèrent qu’à un moment donné, une chose nouvelle « apparut » (« Bada' ») à Allah, ce qui fait qu’Il modifia Sa décision initiale (qui consistait à désigner Ismâïl comme successeur).

A titre de confirmation, je vais citer ci-dessous la traduction de deux passages extraits d’ouvrages chiites, qui évoquent clairement le « Bada' » avec le sens développé ci-dessus:

Traduction partielle:

« (…) Les propos de Tabrassi confirment également ceci (l’explication du « Bada' » donnée plus haut dans le texte), c’est à dire que la signification de « Bada’ lahou taâla » est la suivante: Il est apparu à Allah une chose qui ne l’avait pas été avant.« 

(Référence: « Ousoûl oul Kâfi » – « Kitâboul Houdjah » – « Bâb oul Ichârah wan Nass Alâ Abi Mouhammad » / Page 382).

Traduction explicative:

Après Abou Dja’far, il est apparu (« Bada' ») à Allah au sujet de Abou Mouhammad ce qu’il ne Lui était pas apparu jusqu’à maintenant, de la même façon qu’il Lui était apparu au sujet de Moussa (il s’agit de Moussa « Al Kâdhim », fils de l’Imâm Dja’far r.a.) après Ismâïl (le frère aîné de Moussa) ce qui Lui éclaira sur sa condition (« Mâ Kachafa bihi an Hâlihi »). »

(Ce passage fait allusion à un incident similaire à ce qui s’était passé au sujet de la succession de l’Imâm Dja’far r.a. Celui qui avait été initialement désigné mourut avant son père. Il n’était donc plus possible de réaliser le « Choix » divin et il fallut choisir un nouveau successeur: Il s’agissait là encore d’un cas de « Bada' » pour Allah.)

Il est à noter cependant de très nombreux savants chiites affirment que leur conception du « Badâ » ne porte en aucun cas atteinte à l’omniscience divine. Ce qui ressort de leurs écrits, c’est qu’ils attribuent au « Badâ » pratiquement le même sens que celui donné par les sounnites et qui a été évoqué plus haut au travers de la citation de Ibné Hadjar r.a.

Mais quand on considère les références cités ci-dessus ainsi que le contexte qui a précédé l’élaboration de cette doctrine, et quand on garde à l’esprit le fait que le « Badâ » a été intégré au sein même des croyances fondamentales, on ne peut que remettre en question les affirmations de ces savants… Tout porte à croire au contraire qu’il ne s’agit là que d’une tentative de dissimulation de leurs croyances réelles (« Taqiyyah »), comme cela a été fait avec d’autres doctrines chiites.

Certains chiites, dans une tentative visant à semer le doute et la confusion dans l’esprit des sounnites, n’hésitent pas à affirmer que le « Naskh » (principe de l’abrogation), qui est reconnu et accepté unanimement, même chez les sounnites, et le « Bada‘ » sont une seule et unique chose… Dans les lignes suivantes, on s’attachera à démontrer que cette affirmation est fausse…

Le « Naskh »

Afin de permettre une meilleure compréhension de la différence existant entre le « Naskh » et le « Badâ », il convient de rappeler d’abord en quoi exactement consiste le « Naskh » (principe de l’abrogation). C’est à cet effet que je vais reproduire ci-dessous un passage déjà publié dans un autre article:

Dans le vocabulaire religieux islamique, le terme  » Naskh  » pourrait être défini comme étant l’opération qui consiste à abroger un précepte par le biais d’un argument religieux. Afin de mieux comprendre le pourquoi de ce genre d’abrogation, il est important de rappeler que le Qour’aane a été révélé par étape, en fonction des événements et des conditions qui prévalaient à l’époque du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), et ce, afin de faciliter aux premiers musulmans la transition entre leurs habitudes et leurs pratiques antéislamiques et la noble voie apportée par le Qour’aane et le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam). Cette révélation graduelle avait donc pour objectif de former le caractère des nouveaux musulmans, afin de les préparer à accepter les préceptes divins qui étaient révélés de façon successive. C’est ainsi que tout au long de la période de la Révélation, avec l’évolution des conditions de vie, de la mentalité et du contexte, certains commandements révélés étaient abrogés pour être remplacés par des commandements plus en prise avec la nouvelle situation des musulmans. C’est justement ce processus d’éducation et de formation par étape qui a occasionné le  » Naskh  » (l’abrogation) de certains versets du Qour’aane. Ce processus pourrait être comparé à l’action d’un médecin qui adapte son traitement en fonction de l’évolution de la santé du malade. En effet, un bon médecin n’est pas celui qui donne l’intégralité du traitement au malade dès la première consultation. Au contraire, le véritable médecin prescrit d’abord un traitement de quelques jours, puis avec l’évolution de la santé du malade, il modifie son traitement et l’adapte à nouveau. Dans ce genre de cas, il est insensé de dire que le médecin ne sait pas ce qu’il fait. Dès la première prescription, il sait pertinemment qu’il va le changer par la suite, mais la sagesse la plus élémentaire lui demande d’en espacer les différentes étapes.

Il est à noter que certains non-musulmans objectaient déjà à l’époque du Prophète (sallâllahou alayhi wa sallam) contre l’abrogation des lois divines. Selon eux, le  » Naskh « , en ce qui concerne les injonctions de Dieu, n’est pas possible car cela reviendrait à assimiler que la science divine est limitée, que Dieu ne sait pas ce qu’il fait en donnant d’abord un ordre puis en l’abrogeant et en donnant un autre. A vrai dire, cette objection ne reflète qu’une analyse superficielle de la question.L’abrogation n’a jamais eu pour fonction de montrer que la loi abrogée était fausse, et que c’est pour cette raison qu’elle devait donc être modifiée ou remplacée… Le  » Naskh  » a pour objectif de déterminer la période de validité d’une prescription. La nouvelle prescription instituée révèle ainsi que l’ordre abrogé était totalement compatible et conforme avec le contexte précédent, mais que la situation ayant évoluée, un changement plus approfondi est devenu possible et même nécessaire, afin de s’approcher de l’idéal voulu par Dieu dès l’origine. Loin d’être une défaillance, le  » Naskh  » est au contraire une marque de la Perfection, ainsi que de la Sagesse d’Allah et ne remet en aucune façon qui soit l’Omniscience divine. Le  » Naskh  » est une mesure qui prend ainsi pleinement en considération la nature humaine, caractérisée par le changement, et établit un cheminent par étape conduisant l’homme de la réalité de sa pratique quotidienne lorsque celle-ci est contraire aux lois de Dieu, à une existence en harmonie avec ces mêmes lois. C’est justement cette formation par étape qui a prévalu lors de l’interdiction du vin et de l’usure, comme le témoigne le Qour’aane.

Différence entre le « Naskh » et le « Bada' »

Avec les explications données ci-dessus, il apparaît clairement que la doctrine chiite du « Bada' » n’a rien à voir avec le « Naskh ». Dans le cas de l’abrogation, il est clairement établi qu’Allah sait , dès le moment où Il prescrit une chose, que la durée de cette prescription est limitée et qu’au terme de celle-ci, Il en révélera une nouvelle. Par contre, dans le cas du « Bada' » tel qu’il est présenté dans des références chiites, il est acquis qu’il s’agit bien d’une seconde décision d’Allah, motivée par l’apparition d’un paramètre nouveau qui n’était pas connu avant. Si l’abrogation constitue une marque de la Perfection et de la Sagesse d’Allah, le « Bada' » est au contraire une attaque portée contre Son attribut d’Omniscience. Cette attaque est d’autant plus inacceptable que, d’après les Chiites, les Imâms ont une science infaillible, une science qui porte sur le passé, le présent et l’avenir (les références chiites confirment cela). De là à déduire que, quelque part, la science des Imâms dépasse celle d’Allah…

Qu’Allah illumine nos cœurs, nous garde toujours sur le chemin de la rectitude et nous protège de l’égarement.

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !