Al fitnah baynas sahâba: Le début des troubles...


Souvent, les propagandistes (chiites notamment) qui cherchent à discréditer les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) tirent profit du manque de connaissance de bon nombre de sounnites concernant les circonstances exactes qui ont pu conduire à des situations conflictuelles entre ces premiers musulmans et, surtout, les motivations précises qui animaient l’action des différentes parties opposées. Il est donc nécessaire d’apporter un minimum d’éclaircissements sur ces aspects sensibles : ce présent article se propose humblement d’y contribuer.

Le début des troubles durant le Califat de Outhmân (radhia Allâhou anhou)

Les historiens s’accordent pour considérer que la première partie du califat de Outhmân (radhia Allâhou anhou) est une période de calme et de stabilité pour la communauté musulmane. 1

Puis, au cours de la sixième année du califat, des troubles commencent à voir le jour et à se propager dans certaines régions: des critiques de plus en plus graves, basées sur des rumeurs et même des accusations mensongères et calomnieuses à l’encontre de l’action du Calife sont formulées et répandues par des personnes qui, malgré le fait qu’elles se présentent comme étant musulmanes, semblent en fait être des ennemis de l’Islam qui ont décidé d’affaiblir la communauté en agissant de l’intérieur. L’un des principaux instigateurs de cet effort de déstabilisation est Abdoullâh Ibn Sabâ –en Égypte, un juif qui s’était apparemment converti à l’Islam. Il n’agit d’ailleurs pas seulement sur le plan politique: il commence à inventer des concepts doctrinaux totalement étrangers à l’Islam, concernant notamment la personne de Ali (radhia Allâhou anhou).2

En agissant de façon rusée, il arrive à unifier l’action de groupes de gens –d’Égypte, mais aussi de Koûfa et de Bassora- qui, pour des intérêts différents, désirent voir le Calife Outhmân (radhia Allâhou anhou) destitué… 3

Progressivement, les troubles prennent de l’ampleur et s’étendent à toutes les régions du territoire musulman; cette propagation est grandement facilitée par la conjonction de plusieurs facteurs, dont les suivants 4:

  • Outhmân (radhia Allâhou anhou) avait un caractère très doux. Lorsqu’il était confronté aux attitudes fautives des autres, il privilégiait souvent la sagesse et le calme à la réaction violente 5, ce qui va encourager certains pervers à poursuivre de plus belle leurs méfaits et leurs actions perfides.
  • Outhmân (radhia Allâhou anhou) avait nommé (ou conservé) un certain nombre de ses proches à des postes de responsabilité: Il adoptait ainsi une attitude différente de celle de ses deux illustres prédécesseurs, Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) et Oumar (radhia Allâhou anhou), qui, eux, faisaient preuve de beaucoup de précaution à ce niveau en évitant de confier à leurs parents des fonctions administratives. Si Outhmân (radhia Allâhou anhou) avait choisi d’agir de cette façon, c’est qu’il considérait que les personnes désignées avaient les compétences requises pour mener à bien la mission qu’il leur confiait; le fait qu’elles fassent partie de sa famille n’était pas en soi un problème pour lui, étant donné qu’il avait été témoin de la considération particulière que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait témoigné à sa tribu (les qouraïches) et à ses proches (les banoû hâshim). Cela n’empêchera pas ses opposants de l’accuser de servir ses intérêts personnels et de favoriser injustement les gens de sa famille. 6
  • Outhmân (radhia Allâhou anhou) était une personne très généreuse, qui disposait d’une grande richesse personnelle: il avait donc l’habitude d’aider les musulmans, et plus particulièrement ses proches, en leur faisant de grands dons à partir de ses propres biens ou encore à partir de sommes qu’il empruntait du Trésor Public… Là encore, ses opposants vont saisir l’occasion pour le calomnier: ils n’hésiteront pas à forger des mensonges contre lui ou à présenter de façon fallacieuse et incorrecte certaines de ses actions afin de l’accuser à tort de gaspiller l’argent du Trésor Public et de le distribuer à ses parents. 7
  • Outhmân (radhia Allâhou anhou) avait, pour des raisons justifiées à ses yeux, démis de leur fonction certains grands Compagnons, comme Abou Moûssa Al Ach’ariy (radhia Allâhou anhou): cela va lui attirer également beaucoup de critiques. Pourtant, avant lui, Oumar (radhia Allâhou anhou) avait agi dans le même sens, en écartant de leur poste des Compagnons comme Khâlid bin Walîd (radhia Allâhou anhou)… Et ses opposants ne trouvait rien à redire par rapport à l’action du précédent calife. 8

Bref, lentement mais sûrement et malgré tous les efforts entrepris par le Calife pour réduire les tensions 9, on s’achemine vers le pire, et ce, d’autant plus que les conspirateurs ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins: Ils vont même jusqu’à rédiger et diffuser des lettres, qu’ils attribuent mensongèrement à d’illustres Compagnons présents à Médine (Ali (radhia Allâhou anhou), Talha (radhia Allâhou anhou) et Zoubaïr (radhia Allâhou anhou) notamment), demandant aux gens de se révolter contre le Calife, de lutter contre lui et de servir ainsi la cause de leur dîn10

Au mois de Chawwâl de l’an 35 de l’Hégire, des groupes d’insurgés quittent leurs provinces –essentiellement de Bassorah, de Koufah et d’Egypte (Abdoullâh ibnou sabâ est présent parmi eux)11 en donnant l’impression que leur but est d’aller accomplir le hadj. Ils se rejoignent cependant aux portes de Médine où ils s’arrêtent. Arrivés sur place, ils font part au Calife de leurs revendications. Outhmân (radhia Allâhou anhou) accepte celles-ci et s’engage à les respecter: Les insurgés repartent. 12

Sur le chemin du retour cependant, ils interceptent des instructions écrites, signées du Calife et adressées au gouverneur de leur région, ordonnant leur mise à mort dès leur retour. Ils font alors demi tour et reviennent à Médine, criant vengeance. 13

Outhmân (radhia Allâhou anhou) jure qu’il n’est pas l’auteur de la lettre: les gens en déduisent alors que le responsable de cette fourberie n’est autre que Marwân, le secrétaire de Outhmân (radhia Allâhou anhou). Les insurgés ne décolèrent pas et réclament que Marwân leur soit livré ou que Outhmân (radhia Allâhou anhou) soit destitué 14.

Mais ce dernier refuse d’accéder aux deux demandes: il craint en effet que, s’il leur livre Marwân, ils ne le tuent injustement. Et il ne veut pas abandonner sa fonction pour rester fidèle à une recommandation que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui avait faite de son vivant: « Allah te fera porter une chemise. Quiconque désire te l’enlever, ne l’écoute pas. » 15

Ils assiègent ainsi la maison du Calife pendant plus d’un mois et empêchent tout ravitaillement en nourriture et en eau de Outhmân (radhia Allâhou anhou) et de ses proches.

Le Calife s’adresse à eux en plusieurs fois et essaie de les raisonner par le biais de sermons émouvants: A une occasion, il leur rappelle qu’il était celui qui avait répondu de façon positive à trois appels importants du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam); il avait ainsi apporté une contribution financière décisive:

  • pour l’achat du terrain destiné à l’extension de la mosquée du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lorsque celle-ci était devenue trop étroite pour contenir l’ensemble des croyants –une mosquée que les insurgés lui interdisent aujourd’hui l’accès,
  • pour l’acquisition du seul puits d’eau douce qu’il y avait à Médine afin de l’offrir aux musulmans- un puits dont les insurgés l’empêchent justement de s’y abreuver,
  • pour la préparation de l’une des campagnes militaires les plus difficiles, celle de Taboûk. 16

D’autres Compagnons (radhia Allâhou anhoum), dont Ali (radhia Allâhou anhou), essaient également de discuter avec les opposants de Outhmân (radhia Allâhou anhou) pour qu’ils mettent un terme à ce siège inhumain, mais ceux-ci ne veulent rien entendre. 17

S’il est vrai que les insurgés adoptent une attitude très dure et intransigeante, parmi les habitants de Médine et les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) présents, personne n’imagine qu’ils désirent attenter à la vie du Calife. 18

Par précaution, certains jeunes Compagnons (radhia Allâhou anhoum) –Hassan (radhia Allâhou anhou) et Houssaïn (radhia Allâhou anhou) fils de Ali (radhia Allâhou anhou), Abdoullâh ibnouz Zoubaïr (radhia Allâhou anhou)- sont quand même envoyés par leurs parents pour monter la garde devant la maison de Outhmân (radhia Allâhou anhou). A l’intérieur, d’autres Compagnons (radhia Allâhou anhoum) et de nombreux proches sont là pour le protéger: à un moment donné, ils lui demandent la permission de se battre et de repousser les insurgés pour mettre un terme au siège, mais Outhmân (radhia Allâhou anhou) refuse et demande au contraire à tous ceux qui sont présents de ne pas verser leur sang pour lui. 19

Les tristes évènements vont alors s’accélérer pour deux raisons: d’un côté, les insurgés réalisent que, avec la fin du pèlerinage, bon nombre de musulmans vont rentrer à Médine; de l’autre, ils apprennent que des groupes armées sont en train de se diriger vers la ville du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) afin de porter secours au Calife. La décision de tuer Outhmân (radhia Allâhou anhou) est alors arrêtée et rapidement mise à exécution. 20

Ainsi, le vendredi 18 dhoul hidjjah de l’an 35, des misérables prennent d’assaut la maison du Calife: en s’interposant, bon nombre de personnes défendant ce dernier sont blessés, parmi lesquelles Hassan (radhia Allâhou anhou) et Abdoullâh ibnou Zoubaïr (radhia Allâhou anhou). 21

Quelques assaillants arrivent à escalader un mur: En passant par le toit, ils pénètrent dans la chambre de Outhmân (radhia Allâhou anhou) et l’assassinent alors qu’il est en train de réciter le Qour’aane. Son épouse, Nâïla (radhia Allâhou anha), en tentant de le protéger, a plusieurs doigts sectionnés. Innâ lillâhi wa innâ ilayhi râdjioûn ! 22

(Suite de l’article à lire ici : Ali (ra) face à une situation délicate… )

Wa Allâhou A’lam !


Notes:


1 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / Page 193

2 Réf: « al bidâya wan nihâyah » – Volume 7 / Pages 167 et 168. Bon nombre de savants sont d’avis que les croyances défendues par les différentes sectes chiites trouvent leur origine dans les dévitations propagées par Abdoullâh Ibn Saba’.

3 Réf: « al bidâya wan nihâyah » – Volume 7 / Page 168 et « siyarous sahâba » – Volume 1 / Page 197

4 Voir également à ce sujet les rapports cités par Ibnou Kathîr dans « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 171

5 Cela ne signifie pas pour autant que Outhmân (radhia Allâhou anhou) faisait preuve d’indulgence ou de compromission dans l’application des peines établies par les références premières (houdoûd), comme l’accusaient certains de ses détracteurs. A partir du moment où le délit était établi de façon formelle, il appliquait la peine prévue sans tarder. Voir à ce sujet les écrits de Châh Mouïn noud dîn Ahmad An Nadawi (rahimahoullâh), dans son « siyarous sahâba » – Volume 1 / Pages 210 et 211

6 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / Pages 203 et 204 et « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 171

7 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / Pages 204 à 207

8 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / Pages 201 à 203

9 Voir « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Pages 212 à 214 et « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Pages 171 et 172

10 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 173 et 175

11 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Pages 173

12 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Pages 214 et 215, d’après les rapports d’ibnoul athîr. Voir également les réponses que Ali (radhia Allâhou anhou) apporte aux critiques des opposants de Outhmân (radhia Allâhou anhou) dans « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 171

13 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Page 215

14 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 177

15 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Pages 180 et 185-186; la « chemise » désigne ici métaphoriquement le califat.

16 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Pages 216 et 217 – Sounan Tirmidhi – « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 178 et suivantes.

17 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Page 267 – Ibnoul Athîr – Volume 3 / Page 129

18 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 177 et 197

19 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Page 218, d’après un rapport d’ibnou sa’d dans ses tabaqât. Voir également « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 197

20 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Pages 188 et 197

21 Réf: « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Page 188

22 Réf: « siyarous sahâba » – Volume 1 / – Page 219 et 220 – « al bidâya wan nihâya » – Volume 7 / Pages 184 et suivantes, ainsi que 188 et 189

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