Question : Quelqu’un m’a raconté l’histoire suivante :
Il y avait à l’époque du Prophète (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) un jeune homme qui s’appelait ‘Alqamah. Il faisait beaucoup d’efforts dans l’obéissance d’Allah, dans(l’accomplissement de) la prière, le jeûne et l’aumône… Il tomba un jour gravement malade. Sa femme fit parvenir au Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) le message suivant : « Mon époux ‘Alqamah est à l’agonie et j’ai voulu t’informer Ô Messager de Dieu de sa situation… »
Le Prophète (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) envoya alors ‘Ammâr (radhia Allâhou ‘anhou), Souhayb (radhia Allâhou ‘anhou) et Bilâl (radhia Allâhou ‘anhou) auprès de lui en leur demandant de lui faire le talqîn (c’est à dire de lui rappeler la profession de foi avant qu’il ne meure). Ils partirent… Quand ils arrivèrent chez lui, ils constatèrent qu’il vivait ses derniers instants. Ils se mirent à lui rappeler (la formule) « lâ ilâha illallâh » (« Il n’y a de Dieu qu’Allah »); mais il ne pouvait prononcer cette parole. Ils (les Compagnons présents) firent informer le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) de la situation. Le Prophète (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) demanda alors si l’un de ses parents était encore en vie…
On lui répondit qu’il avait encore sa mère, qui était très âgée. Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dépêcha quelqu’un chez elle en lui demandant s’il lui était possible de venir auprès de lui; sinon, ce serait lui (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) qui se rendrait chez elle.
Dès qu’elle reçut le message, elle prit appui sur une canne et partit rejoindre le Prophète (sallallâhou ‘alayhi wa sallam). En arrivant, elle le salua et il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) lui rendit le salâm. Puis il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) lui dit : « Ô mère de ‘Alqamah ! Dis moi la vérité ! Et si tu me mens, la Révélation venant d’Allah (m’en informera)… Comment était ton fils, ‘Alqamah ? » Elle dit : « Ô Messager d’Allah, (il faisait) beaucoup de prières, de jeûnes et d’aumônes… » Le Messager d’Allah dit : « Et comment es-tu, toi ? » Elle répondit : « Ô Messager d’Allah, je suis mécontente de lui. » Il demanda : « Et pourquoi donc ? » Elle dit : « Ô Messager d’Allah : il donnait préférence à sa femme sur moi et me désobéissait. »
Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dit alors : « Le mécontentement de Oummou ‘Alqamah a empêché à la langue de ‘Alqamah de réciter la Chahâdah (professionde foi). » Puis il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) ordonna : « Ô Bilâl ! Va et réunis pour moi une grande quantité de bois. » Elle demanda : « Ô Messager d’Allah ! Que faites-vous ? »
Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) répondit : « Je vais le brûler avec le feu devant toi. » Elle dit : « Ô Messager d’Allah ! Mon cœur ne peut supporter que tu brûles mon fils devant moi. » Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dit :« Ô mère de ‘Alqamah ! Le châtiment de Dieu est plus dur et plus durable. Si tu désires qu’Allah lui pardonne, accorde lui ton contentement. Car, par Celui qui détient ma vie entre Ses Mains, les prières, les jeûnes et les aumônes de ‘Alqamah ne lui seront d’aucune utilité tant que tu seras fâchée contre lui. »
Elle dit : « Ô Messager d’Allah ! Je prends Allah, Ses anges et les musulmans qui sont présents à témoin que je suis satisfaite de mon enfant ‘Alqamah. »
Le Messager d’Allah (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dit alors : « Va, ô Bilâl, et vois s’il est (à présent) capable de dire « lâ ilâha illallâh »… Peut-être que la maman de ‘Alqamah a dit quelque chose qu’elle ne pensait pas vraiment par honte à mon égard. » Bilâl (radhia Allâhou ‘anhou) partit et (,arrivé sur place,)entendit ‘Alqamah réciter « lâ ilâha illallâh » de l’intérieur de la maison.
Bilâl (radhia Allâhou ‘anhou) entra et dit : « Ô vous ! Le mécontentement de la mère de ‘Alqamah a empêché à la langue de ‘Alqamah de réciter la Chahâdah et son contentement a libéré sa langue. » ‘Alqamah mourut ce même jour. Le Prophète (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) vint auprès de lui, ordonna qu’on lui donne le bain mortuaire et qu’on l’enveloppe dans le linceul. Puis, il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) pria sur lui et assista à son inhumation.
Sur le bord de sa tombe, il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) dit : « Ô groupe de mouhâdjirîn et de ansâr ! Que la malédiction d’Allah, des anges et de tous les gens soient sur celui qui accorde préférence à sa femme sur sa mère ! Allah n’acceptera de lui ni contrepartie ni compensation, sauf s’il se repent devant Allah ‘azza wa djalla, se comporte bien envers elle (c’est à dire sa mère) et recherche son contentement. Le contentement d’Allah est dans son contentement et le mécontentement de Dieu est dans son mécontentement. »
Je voudrai savoir si ce récit est fiable et si l’on peut établir à partir de celui-ci que l’époux qui donne préférence à sa femme sur sa mère s’expose à la malédiction et au châtiment d’Allah.
Réponse : Cette histoire, qui est très connue et répandue, n’est pas rapportée de façon authentique du Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) et ne peut donc pas constituer un argument juridique valide.
Des oulémas soulignent en effet que :
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Dans l’ouvrage intitulé « Al Kabâïr » (qui compile des versets coraniques et des traditions prophétiques en rapport avec les péchés majeurs), ce rapport est introduit avec la formule « houkiya » (on raconte), tandis que dans « At Targhîb wat Tarhîb » (un recueil de Ahâdîth très connu), l’auteur, Al Moundhiri (rahimahoullâh), le mentionne avec l’expression « rouwiya » (on rapporte) : Et il est bien connu que, dans la science du Hadith, quand une Tradition est mentionnée de la sorte, c’est que son authenticité pose problème. (Al Moundhiri (rahimahoullâh) mentionne lui-même ce point dans son introduction de « At Targhîb wat Tarhîb »).
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Ibnoul Djawzi (rahimahoullâh) a mentionné une version abrégée de ce récit dans son ouvrage compilant les Traditions forgées et faussement attribuées au Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) (« Al Mawdhoû’ât »).
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As Souyoûti (rahimahoullâh) rapporte de Al ‘Ouqaïli (rahimahoullâh) qu’il a affirmé que ce Hadith n’est pas authentique. Voir « Al Laâliy’ al Masnoû’ah » – Volume 1 / Page 251
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Parmi les contemporains, Al Albâni (rahimahoullâh) a très sévèrement critiqué la fiabilité de ce rapport. Voir « Dhaïf out Targhîb wat Tarhîb » – Volume 2 / Page 143 et « As Silsilat oud Dhaïfah wal Mawdhoû’ah » – Volume 7 / Page 166
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Cheikh Mach’hoûr cite ce récit dans son ouvrage intitulé « Histoires non fondées » (« qisas la tathbout »).
Le problème qui se pose avec cette narration est que dans la chaîne de transmission de celle-ci, il y a une personne, en l’occurrence Fâïd Ibnou Abdil Rahmân Aboul Waraqâ, dont la fiabilité pose de sérieux problèmes selon les experts : L’Imâm Ahmad (rahimahoullâh), Ibnoul Djawzi (rahimahoullâh), Al ‘Ouqaïli (rahimahoullâh) et Al Haïthami (rahimahoullâh) affirment par exemple que ce qu’il rapporte doit être délaissé (« matroûk »). Ibnou Hibbân (rahimahoullâh) affirme pour sa part qu’il n’est pas permis d’argumenter à partir de ce qu’il rapporte (lâ yadjoûzoul ihtidjâdj bih).
(D’autres sévères critiques ont été émises à son sujet : il a été qualifié de « mounkar oul hadith », « dhâhib oul hadîth », « layssa bithiqatin », « layssa bichay’in », « ittahamoûhou (ay bil kidhb aw bi wadh’il hadîth »), « ‘âmatou hadîthihi kadhiboun ». Réf : « As Silsilat oud Dhaïfah wal Mawdhoû’ah » – Volume 7 / Page 166, « Tahdhîb oul Kamâl » – Volume 23 / Pages 137-139, « Taqrîb out Tahdhîb » – Volume 1 / Page 444, « Al Djarh wat Ta’dîl » – Volume 7 / Page 83, « Al Kâmil li ibni ‘Adiy » – Volume 6 / Page 26, « Dhou’afâ oul ‘Ouqaïli » – Volume 3 / Pages 460-461, « Al Madjroûhîn » – Volume 2 / Page 203)
Wa Allâhou A’lam !