Question: J’ai entendu dire qu’il existe des narrations dans les ouvrages islamiques indiquant que Satan aurait réussi à insuffler au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) un passage que celui-ci aurait alors rajouté dans sa récitation du Qour’aane… C’est ce récit qui aurait permis à certains ennemis de l’Islam de parler de l’existence de « versets sataniques » en Islam… Qu’en est-il réellement ?
Réponse: Ce à quoi vous faites référence est ce qu’on appelle en arabe « qissatou el gharâniq » (l’histoire des déesses).
Ce récit dit qu’une fois, alors que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) était entrain de prêcher l’Islam aux Qouraichites à Makkah, il avait commencé a réciter la Sourate « Ennajm » (L’étoile – sourate 53). Arrivé au
passage :
« afara ‘aytoumoullâta wal ‘ouzza wa manata ethalithata el ‘oukhra »
(…voyez-vous « ellâta » et « el uzza », et l’autre « manât », la troisième…)
en citant les principales idoles que les Qouraichites adoraient, il aurait rajouté :
« tilkoum el gharaniqu el ‘oula, wa ‘inna chafâ ‘atahoum latourtaja »
(Ces déesses d’un rang élevé et certes leur intercession est souhaitée)
Puis il aurait continué la Sourate jusqu’à la fin, où Dieu dit :
« fasjoudou lillahi wa’boudou »
(Prosternez-vous pour Dieu et adorez-le)
Il se serait alors prosterné et tous les idolâtres se seraient également prosternés avec lui, vu que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait cité leurs idoles en bien… Et ce serait cet incident qui aurait fait revenir les premiers émigrants musulmans de l’Abyssinie, car ils avaient entendu que les Qouraichites, qui les torturaient auparavant, s’étaient convertis a l’Islam…
Voilà en quelque sorte l’histoire dont on vous a parlé. Quand on est face à un telle narration, la première chose que l’on doit naturellement faire est de se poser la question d’où elle peut bien provenir ? Ensuite, on se doit de vérifier si sa forme et son contenu « tiennent » face à une analyse rigoureuse… Si ce n’est pas le cas, on aurait affaire à une histoire fabriquée sur mesure… et à rejeter totalement…
Pour ce qui est de la source et de la « forme » de ce récit:
Si vous êtes quelque peu initié aux sciences du Hadith, à l’étude de l’Isnâd (chaîne de transmission des Hadiths) et aux avis des grands Houffâdh et spécialistes dans ce domaine, vous pourrez trouver une allusion à cette histoire chez Ibn Kathir dans son Tafsir, plus précisément dans le commentaire de la Sourate « Al Hadj ». Il y fait référence en attestant que l’histoire n’est pas authentique. Vous pourrez également consulter un épître intitulé « Nasbu el majaniq fi nasfi qisati el gharaniq » d’El Albani r.a., qui reprend toutes les chaînes de transmission (isnad) de cette histoire, les étudie une à une et prouve qu’on ne peut s’appuyer sur aucune d’entre elles pour attester de son authenticité…
Qui de plus est, nous ne disposons d’aucune chaîne de transmission « sérieuse » de cette histoire qui remonte à un Compagnon (radhia Allâhou anhou), donc à quelqu’un qui aurait pu assister à l’événement. Tout ce dont on dispose et qui mérite que l’on y prête une certaine attention, ce sont des « Marâsîl », c’est a dire des Hadiths qui s’arrêtent à des Tâbéines r.a. (des personnes de la génération suivant celle des Compagnons (radhia Allâhou anhoum)), en l’occurrence:
- Said Ibn Djubayr (mort en l’an 95 de l’hégire),
- Abou el Aaliya (mort en 90 de l’hégire),
- Abou Bakr Ibn Abderrahman (mort en 94 de l’hégire)
- et Qatâdah (mort en 113 de l’hégire)…
Quand on sait que cette histoire se serait soi-disant déroulée 6 ou 7 ans avant l’hégire, on voit bien que le temps qui séparent ces personnes de l’événement est énorme… La question qui se pose donc est de savoir d’où peuvent-ils bien tenir cette histoire ?… Nous ne le savons pas, mais en tous les cas, ce dont on est sûr, c’est qu’il y avait déjà à leur époque des inventeurs d’histoires fabuleuses qui voulaient se faire passer pour des grands exégètes du Qour’aane. C’était le cas par exemple pour El Kalbi, qui lui fait carrément remonter cette histoire a Ibn Abbas (radhia Allâhou anhou) par une chaîne de transmission bien connue chez les spécialistes… Cependant, les Traditions qu’il rapporte sont qualifiées de « Mawdhoû’ah » (inventés, forgés), toujours par les spécialistes en la matière. (Quelques précisions supplémentaires concernant l' »Isnâd » de Kalbi sont présentes dans l’article intitulé « Le verset de la Wilâya« …) Souvent, le mensonge y est plus qu’évident. Personnellement, c’est lui que j’accuse dans cette histoire, et je crois qu’il en est l’inventeur. En tous les cas, il y est pour quelque chose…
J’ajouterai que, certains, pour donner du poids à ce récit, soulignent que celui-ci est présent dans la Chronique de Tabari… Sur ce point, il faut bien se dire que le seul fait qu’un récit soit cité par Tabari n’implique en rien qu’il soit authentique. En effet, quand on revient vers l’ouvrage de Tabari, on peut lire qu’il écrit dans son introduction que « ce qui est dans son livre n’est pas automatiquement authentique et vrai, mais qu’il ne fait que transmettre ce qui lui a été rapporté ». D’ailleurs, dans les références que je vous ai cité plus haut, l’Isnad de la narration de Tabari est également étudiée et critiquée…
A noter encore que ce récit a été réfuté par bon nombre de spécialistes, en sus de ceux qui ont été mentionnés… Ainsi, El Bazzar r.a. et Ibn Khuzayma r.a. (ces deux savants ont vécu avant Tabari) affirment clairement que cette histoire a été inventée… Errazi r.a., Ibn Arabi r.a., le juge ‘Iyâdh r.a., el Qurtubi r.a., Echawkani r.a., El Aloussi r.a., Mohammed Abdou… comptent également parmi ceux qui l’on rejeté.
Pour ce qui est du « fond »:
Pour ce qui est du contenu, et bien ma foi, la contradiction est flagrante dans ce texte. En effet, la Sourate « Ennajm » traite, entre autres, de l’Israa wal Mi’râdj (le voyage nocturne du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)) qui s’est déroulé vers la fin de la période mecquoise. Et l’émigration vers l’Abyssinie s’est déroulée bien avant cela. Donc comment pouvait-il leur parler déjà, à ce moment-là, du Mi’râdj ?
Par ailleurs, l’histoire dit que les Qouraichites se sont prosternés à la fin de la sourate, car le Prophète aurait cité leurs idoles en bien… Pourtant, trois versets à peine après ces soi-disant « versets sataniques » que le Prophète aurait lu, il y a un mépris total pour leurs idoles, au travers d’une affirmation que celles-ci sont vaines et qu’elles n’ont aucun pouvoir d’intercession devant Dieu. On lit donc à propos des idoles citées:
« In hiya illâ asmaaoun sammaytoumouha antoum wa abaaoukoum maa anzala ellahou biha min soultane. in tattabiouna illa edhana wa ma tahwa el anfous, wa laqad jaaakoum min rabbikoumou el houda »
« Ce ne sont que des noms que vous avez inventés, vous et vos ancêtres. Allah n’a fait descendre aucune preuve à leur sujet. Ils ne suivent que la conjecture et les passions de [leurs] âmes, alors que la guidée leur est venue de leur Seigneur. »
Est-il concevable qu’après avoir entendu ce passage méprisant vis a vis de leurs idoles et niant carrément leur « statut » (voir aussi les versets qui suivent), les Qouraichites se seraient tout de même prosternés ???!!!
(Pour d’autres réfutations de cette histoire, vous pouvez consulter également le livre du marocain El Jaabiri (Jabri) (Naqd el aql essiyassi el arabi). Il lui consacre quelques paragraphes.)
Bref, ce qui ressort de tout cela, c’est que récit relève plus de l’affabulation que de l’Histoire…
Maintenant, il est vrai que les ennemis de l’Islam font parfois allusion à cette fable et essaient de lui donner un certain crédit… La raison de ce genre de manipulation n’est vraiment pas difficile à deviner: Les implications de ce récit sont en effet extrêmement graves…
En effet, une erreur comme celle qui y est mentionnée à l’égard du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) touche le côté divin même de la mission prophétique. C’est en tant que transmetteur de la part de Dieu qu’il ici est mis en cause.
Cette histoire, à vrai dire, constitue un démenti clair de ce qui est énoncé dans le Qour’aane. Et le pire, c’est que ce démenti serait intervenu au moment même où le Prophète lisait le verset qui atteste de son impeccabilité (‘Isma)…:
« Par l’étoile à son déclin ! Votre compagnon ne s’est pas égaré et n’a pas été induit en erreur et il ne prononce rien sous l’effet de la passion; ce n’est rien d’autre qu’une révélation inspirée. que lui a enseigné (l’Ange Gabriel) à la force prodigieuse (…) »
Et c’est à ce moment précis que Satan serait intervenu pour lui glisser deux versets « sataniques » qu’il aurait alors récité devant tout le monde ??? Quel sens va alors garder le passage « ce n’est rien d’autre qu’une révélation inspirée. Que lui a enseigné (l’Ange Gabriel) à la force prodigieuse » ??? En d’autres mots, ce qui se serait passé, c’est qu’au moment même où le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) atteste que la lecture qui sort de sa bouche provient de Dieu que Satan intervient pour produire un contre exemple !!!
Tout musulman sait pertinemment que cela n’est pas concevable… et que Satan ne peut avoir ce pouvoir…. D’ailleurs, voici ce qu’on peut lire dans le Qour’aane toujours, vers la fin de la Sourate « Ach Chou’araa » (Sourate 26)
« (…) Voulez-vous que je vous indique sur qui les diables descendent? Ils descendent sur tout imposteur pécheur (…) »
Dieu dit cela après avoir affirmé au sujet du Coran et de Son Messager:
« Et certes, ce ne sont pas les diables qui l’ont fait descendre cela ne leur convient pas; et ils n’auraient pu le faire. »
Allah répond ainsi à tous ceux qui prétendaient que ce Coran avait été révélé au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) par des démons… Dieu leur explique que les démons ne peuvent descendre sur le Prophète, mais qu’ils descendent juste sur les imposteurs et les coupables pécheurs (affaakin athim).
Comment, dès lors, concevoir que Satan aurait pu glisser quelques versets au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) pour qu’il les répète devant tout le monde… Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) n’était ni un imposteur, ni un pécheur, pour que Satan ait pu lui insuffler quelque chose de ce genre. Sans parler du sens même de ces prétendus versets que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) aurait lu sans s’en apercevoir… comme s’il ignorait le sens véritable du Tawhid (Unicité de Dieu), lui, qui, dès son jeune âge s’était éloigné des idoles !
C’est pourquoi, l’Imam Ibn Khuzayma r.a. n’a vraiment pas eu tort en disant que cette histoire « min wadhi ezzanaadiqa » (est l’œuvre des zindiq – mécréants, infidèles). Et les empreintes de la « zendaqa » (infidélité) y sont claires et ce, malgré le fait que l’histoire a été rapportée et transmise par la suite. On ne lui trouve d’ailleurs aucune trace dans les livres sérieux de Hadiths, tel les deux Sahih (Boukhâri et Mouslim) et les quatre Sunan (Tirmidhi, Abou Dâoûd, Nasaï et Ibn Mâdja). Elle n’est présente que dans les livres de Tafsir (commentaires du Qour’aane) ou de Târikh (Histoire), qui souvent réunissent les récits les plus fous… (Et malheureusement, l’Imam Ettabari n’a pas fait exception, comme on l’a vu précédemment, bien que ses livres sont plus « propres » que beaucoup d’autres mais de temps en temps lui aussi cite n’importe quoi comme cette histoire absurde…)
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !
Malik.