Les actes font-ils partie du Imân ?


Je pense qu’il serait judicieux de commencer ce présent article par deux petites questions qui concernent directement le sujet dont il va être question:

Quel est le rapport qui unit les actes (« A’mâl ») au Imâne (terme qui généralement traduit par « la foi ») ?

Si une personne ne pratique pas correctement l’Islam et commet des péchés majeurs, reste-t-elle un croyant (mou’min) ou devient-elle mécréante ?

Pour simplifier, on pourrait dire qu’il y a eu à ce sujet quatre groupes au sein de la « Oummah » qui se sont prononcés. Voici leurs avis respectifs:

1- Selon les « Khawâridj » (secte égarée, au sujet de laquelle le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) a tenu des propos très durs…), les actes font partie intégrante de la foi et représentent une condition essentielle pour la validité du « Imâne ». Celui qui commet un péché majeur (« Kabîrah ») est ainsi considéré comme un apostat et un mécréant, qui mérite l’Enfer pour l’Eternité.

2- Selon les Moutazilites (autre secte qui s’est déviée de la Voie des « Ahl ous Sounnah wal Djama’ah » sur un certain nombre de points fondamentaux comme celui du Taqdîr, de la prédestination, etc…), les actes font également partie intégrante de la foi et sont une condition pour la validité du « Imâne ». A la différence des Khawâridj cependant, les Moutazilites ne considèrent pas celui qui commet un péché majeur comme étant mécréant. Selon eux, une telle personne ne reste pas pour autant musulmane et se place plutôt dans une classe à part, située entre la foi et la mécréance. C’est ce qu’ils appellent dans leur terminologie spécifique « Manzilah baynal manzilatayn«  (littéralement « la demeure entre les deux demeures »).

3- Selon les Mourdji’ah (encore une autre secte égarée qui a fait son apparition très tôt dans l’Histoire de l’Islam…) les actes n’ont aucune valeur ni importance, à partir du moment où on a la foi. Leur doctrine au sujet des « A’mâl » a été souvent exprimée ainsi: « Le péché ne nuit en aucune façon lorsqu’on a la foi, tout comme la bonne action n’est d’aucune utilité avec la mécréance. »

4- Selon les « Ahl ous Sounnah wal Djamâ’ah » (groupe suivant la voie du Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) et des Compagnons (radhia Allâhou anhoum)), les actions sont indispensables et doivent nécessairement accompagner la foi. Cependant, celui qui commet un péché majeur (sans pour autant considérer ledit péché comme étant licite – « Istihlâl ») ne devient pas mécréant, mais plutôt « Fâsiq » (pervers).1S’il meurt sans se repentir, son sort dépend de la Volonté d’Allah: Il peut lui pardonner et l’envoyer au paradis, tout comme Il peut le châtier et le jeter en Enfer pour un certain laps de temps.

Il est à noter néanmoins que, malgré leur unanimité pour considérer que le musulman qui commet des péchés majeurs  et ne pratique pas correctement l’Islam ne devient pas pour autant mécréant, les savants de « Ahl ous Sounnah wal Djama’ah » ont divergé entre eux quand à la place et au statut à accorder à la pratique et aux actes (A’mâl) dans la définition du « Imâne »:

Par souci de concision, je ne vais pas entrer dans les détails de l’argumentation de part et d’autre. En effet, des débats interminables ont eu lieu à travers l’Histoire sur ce point (avec tous les excès que cela sous-entend…). Ainsi, certains n’ont pas hésité à accuser les savants de l’école hanafite et l’Imâm Abou Hanifah (Rahimahou Allah) lui même d’être des « Mourdji’ah » ou d’avoir été influencés par eux. Mais les oulémas ont depuis toujours rejeté ces accusations ridicules, propagés notamment par les Moutazilites (Voir à ce sujet les écrits de Ach Charastâni (Rahimahou Allah), dans son célèbre « Al Milal wan Nihal« , mais aussi Abou Zahra (Rahimahou Allah) dans son « Târikh Madhâhib il Islâmiyah » – Page 123). En effet, si le seul fait de ne pas inclure les actes dans le « Imâne » suffisait pour faire de l’Imâm Abou Hanifah (Rahimahou Allah) un « Mourdji' », dans ce cas, on pourrait accuser la majorité des savants d’être des « Moutazilites » de par la formulation commune du « Imâne » qu’ils partagent avec ces derniers… Ce qui est tout à fait ridicule et insensé…

Il convient quand même de relever que d’éminents savants (parmi lesquels Ibn oul ‘Izz Al Hanafi (Rahimahou Allah), Ibné Hadjar (Rahimahou Allah)…) ont affirmé que toute cette divergence entre les « Ahlous Sounnah wal Djama’ah » n’était rien de plus qu’une « guerre de mots » (niza’ lafzi). En effet, au fond, les positions des deux groupes se rejoignent complètement; les divergences portent donc sur la formulation des choses. Ainsi, comme on l’a vu plus haut, même ceux qui considèrent que les actes font partie du « Imâne » sont d’accord pour dire que le musulman qui ne pratique pas et commet des péchés majeurs ne devient pas mécréant.

Mais alors, la question qui se pose est de savoir pourquoi donc tant de divergences sur des formulations, si au fond la réalité perçue est la même. A ce sujet, une des explications qui a été avancée par les savants est la suivante:

Cela serait en fait justifié par une différence de contexte… Les hanafites ayant été plus directement confrontés aux « Moutazilites », c’est la raison pour laquelle ils ont choisi une formulation du « Imâne » particulière, excluant la pratique, afin de lutter contre l’hérésie que les Moutazilites répandaient.

Cependant, il y a pas mal d’autres savants qui n’ont pas accepté de considérer toutes les divergences qui ont eu lieu comme étant dû à une simple différence de formulation. Selon eux, il existe bien une différence d’approche entre l’Imâm Abou Hanifah (Rahimahou Allah) et les autres savants à ce sujet, même si celle-ci n’est pas significative. Ainsi, voici ce qui a été dit pour tenter d’imager cette divergence de vision et de conception:

D’après la majorité des savants, le lien qui unit les actes à la foi est semblable au lien qui unit les branches d’un arbre à son tronc ou les membres d’un corps humain au reste du corps. Selon la vision de Abou Hanifah (Rahimahou Allah), le lien qui unit les actes à la foi est similaire au lien qui unit les branches d’un arbre à ses racines ou les membres d’un corps à l’âme qui réside dans ce corps…

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !


1- Il convient de souligner cependant que certains actes ou propos, quand ils sont accomplis ou prononcés délibérément, relèvent directement du « Koufr » parce qu’ils expriment, sans aucun doute possible, la mécréance. C’est le cas notamment lorsqu’on:

– jette le Qour’aane au milieu d’ordures,

– se prosterne devant une idole,

– se moque d’une prescription religieuse reconnue,

– insulte Allah, le Qour’aane, les Messagers d’Allah (a.s.)…

(Voir à ce sujet les écrits de l’Imâm An Nawawi (Rahimahou Allah) – « Rawdhat oul Tâlibîn », de Ibn Hadjar Al Haïthami (Rahimahou Allah) – « Az Zawâdjir an ilrtikâbil kabâïr », de Abou Bakr Mouhammad Al Houseïni Ach Châféi (Rahimahou Allah) – « Kifâyat oul Akhyâr », de Ibn Qayyim (Rahimahou Allah) – « Kitâb ou Salâh », entre autres…)

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