La jalousie et la haine : Deux fléaux à combattre !


Quelle que soit l’échelle suivant laquelle on analyse le lien de fraternité des musulmans aujourd’hui, on ne peut que constater à quel point celui-ci est superficiel. Et le pire, c’est qu’il semble se fragiliser un peu plus chaque jour qui passe. Nul besoin pour le constater de procéder à une analyse approfondie de la situation de la communauté musulmane mondiale, riche de plus d’un milliards de personnes : il suffit pour cela que chacun fasse l’état des lieux des rapports intracommunautaire au sein des quelques milliers de musulmans de sa propre localité, ou, mieux encore, entre les quelques dizaines de personnes qui composent sa propre famille. Et c’est bien là l’une des principales causes de notre faiblesse et de notre inconsistance actuellement.

Dans un Hadith rapporté par Abou Houreïra (radhia Allâhou anhou), le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) met justement sa communauté en garde contre les principaux facteurs de scissions et de divisions. Il (sallallâhou alayhi wa sallam) dit :

« Ne vous jalousez pas et ne vous enviez pas les uns les autres, ne vous entre-haïssez pas, ne vous espionnez pas, ne vous épiez pas, ne vous trompez pas mutuellement (dans les affaires ou les autres domaines en général) et soyez, ô serviteurs de Dieu, (unis et affectueux comme) des frères. »

(Sahîh Mouslim)

Dans les lignes suivantes, nous allons nous focaliser sur les deux premiers maux évoqués par le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam).

1.« lâ tahâssadoû »

La première chose qu’il (sallallâhou alayhi wa sallam) dénonce, c’est le hassad envers ses frères et s½urs. Ce terme désigne couramment la jalousie qui est éprouvée par un individu lorsqu’il voit quelqu’un jouir d’un avantage qu’il n’a pas. Et l’homme étant ainsi fait qu’il n’apprécie – généralement –pas être surpassé par ses semblables, c’est la raison pour laquelle, la plupart du temps, ce genre de jalousie ne se manifeste pas seule. Elle est accompagnée par le désir ardent que la situation de la personne qui bénéficie de l’avantage en question change négativement :

– soit qu’elle perde la faveur en question et que celle-ci soit obtenue par le hâssid (jaloux),

– soit qu’elle perde tout simplement l’avantage, l’envieux n’espérant ou ne cherchant même pas à l’obtenir pour lui-même. Cette forme de jalousie et d’envie est la pire de toutes ; c’est celle qui avait été éprouvée par Iblîss à l’encontre de Âdam (alayhis salâm) : Iblîss a ainsi fait de tout son possible pour que l’illustre Prophète (alayhis salâm) soit expulsé du Paradis et qu’il (alayhis salâm) perde ainsi les faveurs divines dont il (alayhis salâm) pouvait y jouir. Et ce sournois, ayant déjà été maudit par Allah, savait alors pertinemment que ces bienfaits ne lui seraient jamais accordés.

Al hassad, qui compte parmi les péchés majeurs en Islam, est un mal qui a cette triste particularité qu’il crée chez celui qui en est affecté une frustration tellement grande qu’il finit par le rendre complètement aveugle et sourd aux notions même de licite ou d’illicite et de bien ou de mal. Le jaloux est tellement envieux de son frère ou de sa s½ur qu’il ne recule devant rien pour le voir perdre ce qu’il possède ou, pire, le voir souffrir : il se met à l’épier, à rester à l’affût de ses moindres faiblesses, à le tromper, à être hypocrite envers lui, à dénoncer ses faiblesses ou, pire encore, à lui attribuer mensongèrement des fautes purement imaginaires… Et si cela ne suffit pas, il est prêt à aller jusqu’à vendre son âme au diable en procédant à des actes de chirk telles que la sorcellerie. Certains penseront peut être que je suis en train d’exagérer et de noircir volontairement le tableau.

Comme j’aurai été heureux que ce soit réellement le cas… Malheureusement, il n’en est rien. Je ne compte plus les témoignages de frères qui sont victimes de délations (« anonymes ») devant les autorités, de coups tordus dans les affaires, de campagnes de calomnies visant à les discréditer (devant leurs proches, leurs collègues ou leurs interlocuteurs commerciaux…), d’acte de sorcellerie contre leurs personnes ou leurs familles ou encore leurs biens… Nul besoin de beaucoup de lucidité pour comprendre que si rien n’est fait pour changer cette situation, nous risquons tous, à un moment ou un autre, de finir par être touchés par les dommages collatéraux de ce genre de conduite irresponsable. Nos plus aînés sont toujours là pour témoigner des changements négatifs qui ne cessent d’affecter notre communauté ces dernières années. Et s’il est vrai que les problèmes d’ordre social, économique, moral ou familial qui s’abattent de plus en plus sur nos frères et s½urs résultent de nombreux facteurs, ils n’en reste pas moins que les dérives liées au hassad et à la jalousie occupent une place de choix parmi ces derniers.

Par la grâce d’Allah, nos références premières ne nous ont pas seulement mis en garde contre la gravité du hassad. Elles nous ont également indiqué les moyens à adopter pour s’en préserver ou en guérir, l’un des plus efficaces étant probablement énoncé dans ce Hadith présent notamment dans le Sahîh Mouslim

« (Dans le domaine matériel,) regardez ceux qui sont plus bas que vous (c’est-à-dire qui sont moins riches, qui vivent dans des conditions plus modestes, qui ont plus de problèmes…) ; et ne regardez pas ceux qui sont au-dessus de vous. Cela vous permettra de ne pas mépriser le bienfait d’Allah dont vous jouissez. »

Parmi les multiples effets positifs du réflexe vers lequel le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) nous exhorte ici (en sus de celui qui est mentionné dans le Hadith même), il y a justement le fait que celui-ci nous empêche de nous focaliser sur ce qui fait la supériorité de notre frère ou de notre s½ur par rapport à nous. Et c’est justement en cela qu’il porte un coup fatal aux racines mêmes du hassad dans notre c½ur et notre esprit.

Je précise néanmoins que, en voyant chez autrui un bienfait dont on est privé, le simple fait de désirer que l’on obtienne une faveur similaire sans pour autant vouloir que celle-ci lui soit retirée ne relève pas du hassad prohibé en Islam. Les oulémas affirment que le statut d’un tel désir(appelé ghibtah en arabe)dépendra de la nature de ce qui est désiré ; s’il s’agit de quelque chose de condamnable, le souhait éprouvé l’est également. S’il s’agit d’un bienfait d’ordre religieux, le désir est carrément louable. Et s’il s’agit d’une faveur matérielle licite, la ghibtah est simplement tolérée.

2.« lâ tabâghadhoû » 

Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) condamne ensuite le fait, pour les musulmans, d’éprouver mutuellement de la haine. Dans un autre Hadith authentique, rapporté par Abou Houreïra (radhia Allâhou anhou), le Messager d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam) affirme clairement que l’affection entre croyants est un signe de [la perfection de la] foi :

« Par Celui qui détient mon être dans Sa main, vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous ne serez pas croyants ; et vous ne serez pas de [parfaits] croyants tant que vous ne vous aimerez pas mutuellement. Ne vous montrerai-je pas ce qui amènera l’amitié entre vous ? Répandez le salâm parmi vous. »

(Sahîh Mouslim)

Nombreuses sont les dispositions du droit musulman qui visent justement à renforcer cette affection entre musulmans et à lutter contre toute forme d’animosité. C’est le cas notamment de :

– l’institution marquée du salâm (comme en témoigne le Hadith cité plus haut),
– la permission de mentir dans le but de réconcilier des personnes en conflit,
– l’interdiction de l’alcool et des jeux de hasard (voir verset 91 de la sourate 5)
– l’interdiction de la médisance, etc.

Mais, à l’instar de ce qui a été évoqué au sujet du hassad, si on désire lutter efficacement contre le boughdh (aversion) entre les musulmans, il faut absolument s’attaquer à ses causes, dont les deux principales sont les suivantes :

– la suspicion : le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a sévèrement mis en garde dans un Hadith contre le fait d’agir de façon préjudiciable à l’égard d’autrui sur la base de simples suppositions. Il (sallallâhou alayhi wa sallam) affirme ainsi (en substance) que la (mauvaise)suspicion (adh dhann) constitue la plus mensongère des pensées (akdhab oul hadîth).

Pourtant, il n’est pas rare de voir que des personnes développent des ranc½urs tenaces et en arrivent même à se haïr profondément sur la base de simples soupçons ne reposant sur aucune preuve concrète (des rêves ou des intuitions, par exemple) ou, pire encore, sur des informations relevant purement du domaine de l’invisible et souvent transmises par des personnes sans scrupules qui, tout en étant de faux guérisseurs, n’en restent pas moins de vrais charlatans. Il est en effet établi que, en islam, la seule source d’information ayant force de loi en ce qui concerne l’invisible est la révélation divine… et cela fait déjà plus de quatorze siècles que celle-ci s’est interrompue !

– l’acceptation, sans recul, des rumeurs et des on-dit : il arrive aussi fréquemment que des personnes développent de l’aversion pour leurs s½urs et leurs frères musulmans en raison d’informations qui leurs sont parvenues de façon indirecte et ce, sans même prendre le temps de vérifier rigoureusement le bien-fondé de ce qu’elles ont entendu ou appris. Pourtant, nous avons tous eu l’occasion de voir combien il est aisé de se méprendre sur les réelles intentions d’autrui ; il arrive ainsi que l’on soit en train de discuter directement avec une personne et que l’on ne saisisse pas pleinement le sens de son propos. Il arrive également que l’on interprète mal les dires de quelqu’un seulement parce qu’on n’a pas pu voir l’expression de son visage au moment où il parlait. Dans ces conditions, comment donc peut-on raisonnablement se permettre d’éprouver de la haine envers quelqu’un sur la seule base de paroles qui lui sont attribuées, alors que :

nous ne sommes même pas sûrs, parfois, qu’il a réellement tenu ces propos ?

nous ne savons pas avec certitude, d’autres fois, si celui qui les a rapportés les a entendus et compris correctement ?
nous ignorons tout, souvent, du contexte réel dans lequel ils ont été prononcés ?

nous ne prenons pas la peine de vérifier si lesdits propos n’ont pas été énoncés suite à des réflexions négatives à notre sujet de la part de celui là même qui est venu ensuite nous les rapporter ?

Pour être complet, il est important de souligner cependant que la haine qui est condamnée et condamnable en islam est celle qui est liée à des raisons d’ordre purement matériel. En revanche, la haine motivée par des raisons (valides) d’ordre religieux, comme celle éprouvée envers les péchés et les actes d’immoralité – ce sentiment est désigné par l’expression « al boughdh fillâh » – est non seulement permise mais constitue même une des caractéristiques de la foi et de l’îmân.

Qu’Allah nous accorde à tous et à toutes l’opportunité de nous protéger du hassad et du boughdh et fasse que nous formions toujours une communauté unie et forte, sincère et responsable. Âmîne !

Wa Allâhou A’lam !

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