Question : J’ai entendu dire que pour une personne qui était à l’origine juive ou chrétienne et qui par la suite se (re)convertit à l’Islam, le mérite de ses bonnes œuvres est doublé par rapport à une personne qui est musulmane depuis toujours. Est-ce que cela est exact ? Y a-t-il des Hadiths à ce sujet ?
Réponse : Il y a plusieurs Hadiths qui exposent la double récompense d’une personne qui faisait partie des « Ahl-oul-Kitâb » (Gens du Livre) et qui, après avoir pris connaissance de la mission prophétique de Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), est devenue musulmane. A titre d’exemple, je citerai une Tradition authentique rapportée par Abou Moûssa (radhia Allâhou anhou) et qui dit:
« Trois (personnes) recevront une double récompense… Un homme parmi les Gens du Livre (Ahl-oul-Kitâb) qui croyait en son Prophète (précédent), qui par la suite a connu le Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam), a apporté foi en lui, l’a suivi et a fait son « Tasdîq » (c’est à dire a attesté de sa véracité): A lui donc une double récompense. Un esclave qui remplissait son devoir envers Allah et envers son maître: A lui une double récompense. Un homme qui possédait une esclave qu’il nourrissait bien et qu’il avait bien éduquée, qui l’a ensuite affranchie et épousée: A lui une double récompense . »
(Mouslim)
Le sens d’une partie de ce Hadith est conforme à ce qui est énoncé dans le passage suivant du Qour’aane:
Nous leur avons déjà exposé la Parole (le Coran) afin qu’ils se souviennent.
Ceux à qui, avant lui [le Coran], Nous avons apporté le Livre, y croient .
Et quand on le leur récite, ils disent : « Nous y croyons. Ceci est bien la vérité émanant de notre Seigneur. Déjà avant son arrivée, nous étions Soumis ».
Voilà ceux qui recevront deux fois leur récompense pour leur endurance, pour avoir répondu au mal par le bien, et pour avoir dépensé de ce que Nous leur avons attribué.
et quand ils entendent des futilités, ils s’en détournent et disent : « A nous nos actions, et à vous les vôtres. Paix sur vous. Nous ne recherchons pas les ignorants ».
(Sourate 28 / Versets 51 et suivants)
En commentant ce passage dans ses « Ahkâm oul Qour’aane », Moufti Chafi’ r.a. souligne plusieurs points très intéressants. Voici une synthèse de quelques uns des aspects qu’il aborde:
- Concernant la raison pouvant expliquer le doublement de la récompense des« Ahl oul Kitâb » qui se convertissent et deviennent musulmans, il y a plusieurs hypothèses qui ont été avancées par les commentateurs du Qour’aane. Parmi toutes les explications qui ont pu être données à ce sujet, Moufti Chafi’ r.a. affirme que celle qui a été énoncée par Cheikh Chabbir Ahmad Outhmâni r.a. dans son commentaire du « Sahîh Mouslim » (intitulé « Fath oul Moulhim ») l’a le plus convaincu. En résumé, voici ce qu’il écrit :
Dans les Hadiths évoquant un doublement du mérite pour trois catégories de personnes (parmi lesquelles il y a justement celui qui se convertit l’Islam après avoir apporté foi en Moussa (alayhis salâm) ou en Issa (alayhis salâm)…), on constate que chacune des actions et attitudes mentionnées résulte de la succession de deux « contextes » tels que, la présence du premier devrait, en principe, empêcher -ou rendre très difficile- la concrétisation du second. Al Kirmâni r.a. fait allusion à ceci en ces termes (selon le rapport qui en est fait par Moulla Ali Al Qâri r.a. dans son « Mirqât oul Mafâtîh »):
« N’est ce pas évident que la foi en un Prophète et le Livre qu’il a apporté a pour conséquence de créer chez la plupart des gens une sorte de sentiment d’auto-suffisance, et même de dénigrement par rapport à la foi envers un autre Prophète venu après et l’acceptation de ce qu’Allah lui a révélé, plus particulièrement quand cet autre Prophète confirme le précédent, reconnaît la mission dont il avait été investi, sa véracité et son honneur auprès d’Allah ? »
Cheikh Shabbir Ahmad Outhmâni r.a. ajoute que, celui qui, malgré son adhésion à une religion (christianisme ou judaïsme), malgré sa foi en un Prophète et un Livre précédents, ne fait pas preuve de fierté, ne se vautre pas dans une attitude de suffisance par rapport à ce qu’il croit déjà et ne s’abstient donc pas d’apporter foi au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), nul doute qu’il fait un effort du lutte (« Moudjâhadah ») considérable contre son égo (« Nafs ») et ses désirs(« Chahawât »), en privilégiant ce qui est auprès d’Allah… Et, pris sous cet angle, sa valeur aux yeux d’Allah est plus importante que celle des autres musulmans: Rien de surprenant alors à ce que le mérite de ses actes soit également plus important. Et quand on revient vers le passage du Qour’aane cité plus haut, on trouve bien une indication montrant que sa récompense particulière résulte du « Sabr » et de l’endurance dont il a fait preuve dans son effort de lutte intérieure. (Voici ce qui est dit dans le verset: « Voilà ceux qui recevront deux fois leur récompensepour leur endurance, pour avoir répondu au mal par le bien, et pour avoir dépensé de ce que Nous leur avons attribué. »)
On peut d’ailleurs déduire de là un principe général: Quiconque accomplit une bonne œuvre alors que les circonstances ne s’y prêtent pas, en ce sens qu’il y a un obstacle qui est présent et qui, en principe, devrait l’empêcher ou le décourager d’accomplir cette œuvre, obtiendra une récompense doublée pour celle-ci. On a une illustration de ce principe dans le Hadith où le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) affirme en ce sens que celui qui lit le Qour’aane malgré le fait qu’il éprouve des difficultés à le faire (difficultés, qui, normalement devrait le décourager et l’empêcher de continuer sa récitation…) obtiendra une double récompense…
Ce qui ressort de ce développement, c’est que le doublement du mérite du « Ahl oul Kitâb » qui se convertit à l’Islam est lié à l’effort particulier qu’il a réalisé pour se détacher de son ancienne appartenance religieuse et l’endurance qu’il a témoigné face aux difficultés que cela entraîne… C’est de ce « Sabr » exceptionnel que vient sa récompense doublée…
- Une question que l’on pourrait également se poser est la suivante: Ce traitement de faveur était-il réservé uniquement à ceux qui acceptaient l’Islam à l’époque du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) ? Où est-ce qu’il est encore valable pour un chrétien ou un juif qui se re-convertit à l’Islam aujourd’hui ? A ce sujet, les avis divergent. Certains (comme Al Kirmâni r.a.)pensent que cette promesse avait une portée limitée et restreinte dans le temps et ne concerne donc pas ceux qui ont vécu après le départ du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) de ce monde. Ibné Hadjar r.a.(entre autres), lui, est d’avis que cette promesse n’était pas réservée uniquement aux contemporains du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)… A ce sujet, si on considère l’explication du Hadith qui a été donnée par Cheikh Shabbir Outhmâni r.a. et dont j’ai présenté une synthèse plus haut, on ne peut que partager l’avis de Ibné Hadjar r.a. Etant donné en effet que le mérite est lié au « Sabr » (endurance) témoigné pour arriver jusqu’à la re-conversion, il est évident qu’aujourd’hui encore, celui qui est attaché à une religion autre que l’Islam, en étant (à l’origine) convaincu d’être dans la bonne voie, doit faire beaucoup d’efforts pour arriver à se remettre en question, à se démarquer de ses anciennes convictions… et continuer ainsi jusqu’à sa re-conversion à l’Islam…
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !