Moufti Taqi Ousmâni du Pakistan a effectué une étude très complète sur cette question. Il l’a incluse dans son commentaire du Sahih Mouslim, intitulé « Takmilah Fathil Moulhim » (Volume 6 / Pages 373 à 382). Je me contenterai de faire un résumé de ce qu’il a écrit.
Pour ce qui est de la Salât:
Il rappelle d’abord que les régions qui présentent des disproportions au niveau du jour et de la nuit sont de trois sortes:
- Les pays où on ne trouve pas du tout les signes marquant le début de l’heure de certaines prières:Il s’agit des pays où, malgré la succession de la nuit et du jour dans un laps de 24 heures, l’heure de certaines prières n’arrive pas, en ce sens que les signes qui permettent de les déterminer n’apparaissent pas du tout. Par exemple, dans les lieux qui se trouvent au delà de 48°5 de latitude nord, le « Chafaq » (lueur qui apparaît à l’horizon après le coucher du soleil et dont la disparition marque le début de l’heure de la Salâh de Icha) reste toujours présent jusqu’au lever du soleil, à une certaine période bien définie (selon les régions) de l’année. Ce qui signifie que, dans ces endroits, pendant un certain nombre de jours, l’heure de Icha n’arrive pas du tout. La question qui se pose ici est de savoir ce que l’on doit faire par rapport à la prière à ce moment là. A ce sujet, Moufti Taqi affirme qu’il y a toujours eu, depuis de nombreux siècles, des divergences entre les savants:
Certains sont d’avis que la prière de Icha ne devient pas du tout obligatoire pour les habitants de ces régions. Ils basent leur avis, principalement, sur le verset du Qour’aane dans lequel Allah dit: « (…) la Salât demeure, pour les croyants, une prescription, à des temps déterminés. » Selon eux, ce passage montre clairement que l’obligation de la prière est liée avec le laps de temps fixé pour son accomplissement. Si celui-ci n’arrive pas du tout, l’obligation même de la prière n’existe pas. D’autres pensent au contraire que la Salât, dans ce genre de situations, n’est pas pardonnée. Il est nécessaire de l’accomplir en délimitant pour cela une tranche horaire par calcul (pour ce qui est de la base et de la méthode de calcul, on y reviendra Incha Allah). Les savants qui sont de cet avis prennent notamment comme argument le célèbre Hadith qui évoque les signes de la fin des temps, avec la venue du « Dadjâl ». Il y est dit qu’il restera 40 jours sur terre, jours dont la première aura une durée équivalente à une année, la seconde à un mois, la troisième à une semaine. Les jours suivants seront de durée normale. Lorsque les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) avaient demandé au Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) si durant ces jours, qui seront si longs, ils n’avaient à accomplir que cinq prières. Le Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) leur répondit en ce sens: « Non, Il vous faudra faire une estimation de l’heure (de chaque prière) et l’accomplir normalement. » Ce Hadith montre clairement que si on se trouve dans un endroit où l’heure de certaines Salâts n’arrive pas toujours, on devra quand même essayer de déterminer les différents horaires et prier. Cette seconde opinion est celle qui a été retenue par les plus grands savants de l’école hanafite, mais elle est rapportée également de l’école châféite et mâlékite. Après avoir passé en revue les deux opinions et leurs arguments, Moufti Taqi affirme que la seconde prime par rapport à la première. Il est donc d’avis que dans ce genre de régions, toutes les prières restent obligatoires et il incombe aux habitants d’estimer par calcul l’heure de chacune d’entre elles.
Reste maintenant à déterminer en fonction de quoi l’estimation de l’heure de la prière se fera dans ces régions. Il y a, à ce sujet, principalement deux méthodes qui ont été décrites par les juristes:
- On prendra comme référence le jour équilibré le plus proche dans la région concernée. A titre d’exemple, pour un point situé sur le 54ème parallèle de l’hémisphère nord, le « Chafaq » ne disparaît pas entre le 11 Mai et le 31 Juillet. Le jour précédent le 11 Mai, c’est à dire le 10 Mai, le « Chafaq » disparaît environ à 23 heures 47, tandis que l’aurore apparaît (déjà) à 23 heures 56. En ce jour, l’heure de Icha ne dure donc que 9 minutes. Certains savants sont d’avis que durant toute la période qui s’étend entre le 11 Mai et le 31 Juillet, on considérera que l’heure de Icha se situe également entre 23 heures 47 et 23 heures 56 et dure 9 minutes.
- On prendra comme référence (dans les régions où le « Chafaq » ne disparaît pas) la contrée équilibrée la plus proche (Cet avis est celui qui a été adopté par les châféites et les mâlékites). Exemple: Les premières régions qui présentent des particularités au niveau du « Chafaq » sont celles qui se situent à partir de 48°5 Nord. Dans ces contrées, le « Chafaq » ne disparaît pas entre le 11 Juin et le 1er Juillet. Pour connaître l’heure de Icha là bas, on se référera aux pays qui sont situés un peu plus au sud (47° ou 48° de latitude Nord).
- Les contrées où on trouve les heures de toutes les prières mais certaines d’entre elles sont extrêmement restreintes:Il existe d’autres régions où, encore une fois, il y a bien succession entre la nuit et le jour dans une période de 24 heures, mais le laps de temps pour certaines prières est extrêmement court. C’est le cas notamment pour les endroits situés au delà de 54° Nord, où l’heure de Icha, à certains moments de l’année ne dure que 9 minutes. Dans ces pays, on accomplira la prière à son heure, même si celle-ci est extrêmement limitée et on se contentera des « Rak’ates » qui sont obligatoires.
- Les contrées dans lesquelles il n’y a pas de succession de jour et de nuit dans une période de 24 heures:
Il s’agit de toutes les régions au sein desquelles la nuit et le jour peuvent s’étendre sur plusieurs mois d’affilée. Les mêmes divergences que l’on avait évoquées dans le premier cas existent également ici. Mais comme on l’a vu plus tôt, la seconde opinion est celle qui est la plus juste et elle d’ailleurs confirmée par le Hadith cité. Dans ces régions également donc, on calculera les heures de chacune des prières en prenant comme référence le pays le plus proche présentant des horaires normaux.
Pour ce qui est du jeûne:
Cheikh Achraf Ali Thanwi r.a. écrit que, si une personne habite dans une région où il n’y a pas de nuit, dans ce cas, elle devra jeûner durant le mois de Ramadhân un nombre d’heures déterminé qui sera calqué sur la durée du jour dans le pays le plus proche (où la nuit tombe). Par exemple, si dans le pays le plus proche qui présente des horaires normaux 1 le jour dure 17 heures, les gens qui habitent dans les régions où il n’y pas de nuit jeûneront également durant 17 heures. Cependant, comme il auront rompu leur jeûne alors qu’il fait jour (c’est à dire que le soleil est encore visible), il leur est préférable de remplacer les jeûnes accomplis ainsi, si cela leur est possible.
Voici en quelque sorte ce que Moufti Taqi écrit sur la question.
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !
1 Il est vrai que cette notion de « pays le plus proche ayant des horaires « normaux » (une traduction plus juste serait « horaires équilibrés ») (« aqraboul bilâdil mou’tadilah ») », que l’on retrouve dans pas mal d’écrits juridiques, présente une certaine ambiguïté et je n’ai malheureusement pas trouvé, à ce jour, plus de précision que ce qui a été déjà mentionné. Après réflexion, j’interprèterai cela comme indiquant qu’il faut prendre comme référence le pays (au sens de lieu géographique) le plus proche présentant un horaire de jeûne qu’il est possible de pratiquer, sans être confronté à des difficultés insurmontables. Je pense donc qu’au travers de la notion de « bilâd mou’tadilah« (pays à horaires « équilibré »), il faudrait également considérer l’aspect du « supportable » (tahammoul)… Wa Allâhou A’lam ! Retour