Question : Je me suis assoupi quelques instants après avoir fait mes ablutions. Est-ce que je dois les renouveler pour prier ?
Réponse : Durant le sommeil, l’organisme humain est complètement détendu et la vigilance suspendue : il y a donc de fortes chances que la relaxation du corps entraîne dans cet état l’émission de gaz intestinaux, et ce, sans que l’on en soit conscient.
C’est la raison pour laquelle, en droit musulman, le fait de s’endormir constitue, en soi, une présomption d’annulation des ablutions. Ali (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit :
العين وكاء السه فمن نام فليتوضأ
سنن ابن ماجه صححه الألباني
« L’oeil (c’est-à-dire l’état d’éveil) est le « gardien » de l’anus (en ce sens qu’il surveille les gaz qui peuvent en sortir). Ainsi, celui qui a dormi, qu’il fasse les ablutions (en se réveillant). »
(Ibn Mâdja, entre autres. Authentifié par Al Albâni dans « Sahîh Ibn Mâdja » et « Sahîh oul Djâmi' »)
Il est important de noter cependant que le sommeil n’est pas considéré comme étant une cause d’annulation des ablutions de façon systématique : ainsi, les savants des quatre écoles de droit musulman les plus connues font une distinction à ce niveau entre le sommeil profond et le sommeil léger. Ils divergent cependant dans la détermination du (des) critère(s) permettant de différencier entre eux ces deux types de sommeil. Ainsi :
- selon l’avis des oulémas hanafites, si une personne s’endort dans une des postures de la prière rituelle obligatoire (c’est à dire en étant debout ou en état de roukoû’ (inclinaison) par exemple) ou en étant assis, le siège collé au sol et sans prendre appui sur quoi que ce soit d’autre, son woudhoû ne sera pas annulé. Et si une personne s’endort en prenant appui ou en étant allongée, ses ablutions sont systématiquement annulées. Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) aurait dit :
إن الوضوء لا يجب إلا على من نام مضطجعا فإنه إذا اضطجع استرخت مفاصله
سنن الترمذي
« (…) Les ablutions ne sont (nécessaires que) pour celui qui a dormi allongé; car lorsqu’il s’allonge, ses articulations se relâchent (et cet état de relaxation entraîne généralement la sortie de gaz intestinaux). »
(Tirmidhi, Aboud Dâoûd) [1]
- selon l’avis des oulémas châféïtes, si le siège reste collé au sol durant le sommeil, les ablutions ne sont pas perdues. Et si ce n’est pas le cas, le woudhoû est annulé.
- selon l’avis qui semble faire autorité chez les hambalites, les ablutions ne sont pas perdues si une personne s’assoupit légèrement alors qu’elle est debout ou assise.
- selon l’avis des mâlékites, les ablutions ne sont perdues que lorsque le sommeil est si lourd que la personne endormie n’a plus du tout conscience de sa condition, de ses gestes et de ce qui se dit autour d’elle. [2]
La distinction de statut entre le sommeil qui est profond et celui qui ne l’est pas permet de concilier les Hadiths cités ci-dessus avec la Tradition rapportée par Anas (radhia Allâhou anhou) et qui relate que les Compagnons (radhia Allâhou anhoum), en attendant l’accomplissement de la prière de Icha (qui se faisait parfois tardivement) avec le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), dormaient; puis ils priaient et ne renouvelaient pas leurs ablutions. (Sahîh Mouslim)
En effet, les savants pensent que le sommeil des Compagnons (radhia Allâhou anhoum) dans ce cas précis n’avait pas d’effet sur la validité de leur woudhoû car il n’était pas profond justement, étant donné qu’ils étaient en train d’attendre la prière –qui pouvait débuter d’un moment à l’autre- et qu’ils dormaient donc certainement en restant assis à leur place. [3]
Wa Allâhou A’lam !
Notes :
[1] Ce Hadith a été qualifié de dhaïf par un certain nombre de savants, en raison d’un narrateur présent dans la chaîne de transmission, en l’occurrence Abou Khâlid ad dâlâni, qui a été critiqué par des spécialistes de la science des Hadiths. Voir « Dhaïf out Tirmidhi » et « Dhaïf Abi Dâoûd » de Al Albâni (rahimahoullâh) – Néanmoins, Mouti Taqui Outhmâni souligne qu’il y a quelques autres spécialistes et experts, comme Ibn Abi Hâtim (rahimahoullâh) et Ibn Djarîr At Tabari (rahimahoullâh) qui sont d’avis que ce narrateur est fiable. Ce Hadith peut donc être qualifié de hassan (bon). « Dars Tirmidhi » – Volume 1 / Page 295; voir également « Adj Djarh wat Ta’dîl » – Biographie N° 1167, « Ma’rifat outh Thiqât » – Biographie N° 2133, « Târikh Asmâ ath thiqât » – Biographie N° 1556 et « Lisân oul Mîzân » – Biographie N° 5292
[2] Synthèse élaborée notamment à partir de « Bidâyat oul Moudjtahid », « Madjmou’ oul Fatâwa », « Awn oul Ma’boûd » et « Al Fiqh oul Islâmiy »
[3] Cette hypothèse est cependant remise en question par les indications que l’on trouve dans certaines versions de ce Hadith : Par exemple, dans l’une d’entre elles, il est précisé que les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) dormaient allongés… Pour répondre à cette objection, Moufti Taqui écrit que, lorsqu’on étudie toutes les variantes de ce récit, on constate qu’il y avait différentes attitudes chez les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) dans ces moments d’attente : certains dormaient d’un sommeil léger; d’autres dormaient profondément –au point où leurs têtes penchaient complètement et ils allaient même jusqu’à émettre des ronflements- mais en restant assis; et d’autres encore s’allongeaient pour dormir. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que leur attitude, en se réveillant, n’était pas la même pour tous : Ainsi, dans une version du Hadith de Anas (radhia Allâhou anhou) authentifiée par Al Haïthami (rahimahoullâh) dans son « Madjma’ouz Zawâïd », on trouve cette précision supplémentaire dans le récit : « (Certains) parmi eux faisait les ablutions; d’autres non. » On peut donc légitimement supposer à partir de là que ceux qui dormaient profondément et allongés étaient justement ceux qui allaient renouveler leurs ablutions avant de prier. « Dars Tirmidhi » – Volume 1 / Page 296