Qu'en est-il de celui qui contribue à la réalisation d'un péché ?...


Allah dit dans le Qour’aane:

Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression

(Sourate 5 / Verset 2)

Dans un autre passage coranique, les propos suivants du Prophète Moussa (alayhis salâm) sont mentionnés:

Il dit : «Seigneur, grâce au bienfait dont tu m’as comblé, jamais je ne soutiendrai les criminels».

(Sourate 28 / Verset 17)

Ces deux références coraniques montrent clairement qu’en Islam, l’aide et la contribution dans la réalisation d’un péché (« Al I’ânah ‘alal Ma’siyah ») est interdit. Par ailleurs, celui qui sert d’intermédiaire dans la concrétisation d’un mal (« At Tasabboub bi charr ») porte une part de responsabilité dans ce qui a été fait, comme en témoignent explicitement bon nombre de références du Qour’aane et de la Sounnah. C’est pour éviter cela qu’il y a de certaines pratiques en Islam qui, bien qu’ils ne constituent pas forcément des péchés en elles-mêmes, ont quand même été prohibées parce qu’elles contribuent à la réalisation un péché, et ce, en vertu d’un principe juridique connu sous le nom de « saddoudh dharaï«  (Pour plus de détail au sujet de ce principe et sur sa force probante dans la jurisprudence musulmane, lire cet article.)

Cependant, quand on considère les deux notions sus-citées (celui de« Al I’ânah ‘alal Ma’siyah » et celui de « At Tasabboub bi charr »), on se trouve confronté à une nécessité fondamentale:

Il est évident que si l’on se met à interdire toutes les causes (« Asbâb ») conduisant à une interdiction, qu’il s’agisse d’une cause proche ou éloignée, directe ou indirecte, ou si l’on prohibe complètement des actions dès le moment où ils apportent une quelconque contribution, même très lointaine, dans un mal, alors on se retrouve immédiatement confronté à des difficultés insurmontables dans la vie de tous les jours. En effet, quelque soit l’acte que l’on fait et quelque soit le bien matériel que l’on utilise, ce geste de notre part profite presque toujours, d’une façon ou d’une autre et par moyens interposés, à une cause répréhensible (religieusement ou moralement parlant).

C’est la raison pour laquelle, il convient de faire un tri et de déterminer quels sont précisément les moyens et les formes d’assistances qui sont interdits: Quand on se lance dans ce travail de détermination et de classification et que l’on revient pour cela vers les ouvrages de jurisprudence islamiques, on constate qu’ils contiennent des indications apparemment contradictoires. Un éminent savant pakistanais, Moufti Chafi’ r.a., a réalisé une excellente étude sur la question. Dans les lignes suivantes, je vais me contenter de présenter une synthèse de ses écrits à ce sujet.

Dans son analyse, il établit une distinction subtile entre :

et

Ceux deux types d’actions vont être étudiées l’un après l’autre:

« Al i’ânah ‘alal ma’siyah »

Trois cas de figure peuvent se présenter:

1- En accomplissant l’acte, la personne vise délibérément l’entraide dans le péché.

Exemples:

a) Elle vend du moût de raisin à quelqu’un afin que celui-ci le vinifie.

b) Elle loue un local à quelqu’un afin qu’il y vende du vin.

2- En accomplissant l’acte, la personne sait, de façon certaine, que son geste constitue une entraide dans le péché, sa mention étant faite de façon explicite.

Exemples:

a) Une personne lui dit: « Vends moi ce moût de raisin afin que je le vinifie », et elle accepte de conclure cette vente.

b) Une personne lui dit: « Loue moi ce local, afin que j’y vende du vin. », et elle accepte cette location.

(Dans ces deux cas, selon l’Imâm Mouhammad r.a., Qâdhi Abou Youssouf r.a. (de l’école hanafite), les savants mâlékites et hambalites, la transaction, en sus de représenter un péché, n’est pas valide. Selon l’avis de l’Imâm Abou Hanîfah r.a. et de l’Imâm Ach Châféi r.a., la transaction est valide (voir à ce sujet leur position particulière concernant l’étendue du principe de « saddoudh dharâï », cas n°3), mais représente malgré tout un péché.)

3- En accomplissant l’acte, la personne sait, de façon certaine, que son geste constitue une entraide dans le péché, sa réalisation étant inévitable (même si sa mention n’est pas faite explicitement); en d’autres mots,l’acte en question ne peut que conduire au péché.

Dans ces trois cas (1,2,3), l’acte accompli constitue un péché en soi en raison de l’intention perverse qui l’a motivée, et ce, indépendamment du fait que le mal visé se soit finalement concrétisé ou non…

« At tasabboub lich charr »

Selon Moufti Chafi’ r.a. toujours, un acte peut être soit une « cause proche » dans la réalisation d’un mal, soit une « cause éloignée« .

1- Cause proche. L’acte qui représente une cause proche dans la réalisation d’un mal peut être de deux natures différentes:

a- L’acte constitue la cause déterminante poussant à la réalisation du péché, en ce sens que s’il n’était pas fait, le péché n’aurait pas eu lieu non plus.

Exemple:

Injurier les divinités des polythéistes, qui en retour vont injurier Allah.

b- L’acte n’est pas la cause déterminante du péché, mais il constitue une assistance directe pour celui qui va commettre le péché.

Exemples:

Offrir un verre de vin à celui qui a l’intention de le boire.

– Donner une arme à quelqu’un qui est sur le point de commettre un meurtre.

– Louer un local à une personne, alors que l’on sait qu’il va l’utiliser pour vendre du vin.

(Il est à noter que, comme indiqué plus haut (dans le cas n°3), le fait d’accomplir un acte qui contribue (directement) à la réalisation d’un mal en connaissance de cause est déjà un péché en soi…)

2- Cause éloignée: Il s’agit de l’acte qui ne répond pas aux critères cités précédemment, c’est à dire qu’il n’estpas une cause déterminante et n’apporte pas non plus une assistance directe à celui qui va commettre un péché, en ce sens qu’une autre action (ou une transformation) est nécessaire avant que le mal (considéré comme tel à la lumières des références islamiques) ne puisse être accompli.

Exemples:

– Vendre des éléments utilisés dans la confection d’armes à un pays ou à une entité hostile aux musulmans.

– Vendre du raisin à celui qui va produire du vin.

– Vendre du bois, des pierres, du ciment etc… à celui qui va l’utiliser pour construire un lieu de culte idolâtre.

– Louer un moyen de locomotion à celui qui va voyager pour commettre un péché.

Statut de chacun de ces actes:

– Ce qui relève de la catégorie 1a est strictement interdit (harâm) par le texte coranique même, et ce, même si l’intention le motivant est en soi licite (ou louable). Allah dit: « N’injuriez pas ceux qu’ils invoquent, en dehors d’Allah, car par agressivité, ils injurieraient Allah, dans leur ignorance. » – Sourate 6 / Verset 108

– Ce qui relève de la catégorie 1b est également interdit (makroûh tahrîmi), par analogie par rapport au cas précédent, étant donné que les deux conduisent de façon inévitable et directement à la réalisation d’un péché.

– Ce qui relève de la catégorie 2 n’est pas interdit selon l’opinion de l’Imâm Abou Hanîfah r.a., mais seulement déconseillé (« makroûh tanzîhi ») -pour peu que l’on soit informé des intentions de l’acheteur/du loueur au moment de la transaction.

Il est à noter cependant que ce dernier avis ne fait pas l’unanimité: selon bon nombre d’autres savants (notamment hambalites et mâlékites; c’est également là ce qui ressort apparemment des écrits de certains hanafites), ce genre d’actes est aussi interdit -« makroûh tahrîmi »; voir à ce sujet par exemple les Fatâwa émises par les savants d’Arabie Saoudite en rapport avec les activités professionnelles qu’il est permis ou non d’effectuer… 

Note : A cette classification, on pourrait éventuellement ajouter une dernière catégorie, qui regroupe les actes qui constituent des causes très éloignées dans la réalisation d’un péché : c’est le cas par exemple d’un musulman qui loue une maison ou un appartement à un non musulman pour qu’il y habite. Maintenant, il y a de très fortes chances que par la suite, le locataire va y consommer du vin et du porc, ou va y accomplir ses rituels religieux; néanmoins, le propriétaire de la maison ou de l’appartement ne sera en aucun responsable de la réalisation de ces actes qu’il considère comme illicite, étant donné que ce n’est pas du tout pour cela qu’il l’a loué. (Voir les écrits de As Sarakhsi r.a. dans « Al Mabsoût » 16/39)

Références: « Ahkâm oul Qour’aane lit thânwi » – Volume 3 / Pages 79 et suivantes, ainsi que pages 479 à 481; Etude de Moufti Chafi’ r.a. intitulée « Tafsîl oul kalâm fî mas’alah al i’ânah ‘alal ma’siyah », publiée dans « Djawâhir oul Fiqh » / Volume 2 / Pages 433 à 449; Fatwa en ourdou de Moufti Chafi’ r.a. – Pages 453 à 456.

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !

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