Explications concernant un Hadith évoquant une récitation singulière du Coran...


Question : J’ai lu le Hadith suivant et son contenu m’a beaucoup étonné…

Alqama a rapporté: « J’étais entré en Syrie avec un groupe de Compagnons. Abu Ad-Darda’, ayant appris notre arrivée, vint nous trouver et dit: « Y a-t-il parmi vous quelqu’un qui récite (le Coran) de la façon d’Abdallah ? »
– « Oui, moi, répondis-je. Comment as-tu entendu Abdallah réciter ce verset: « Par la nuit quand elle enveloppe tout ! (wal layl idhâ yaghchâ) »
(al-Layl/1)

Je répondis que je l’avais entendu réciter: « Par la nuit quand elle enveloppe tout ! Et par ce qu’Il a créé, mâle et femelle ! » (« wal layli idhâ yaghchâ … wadh dhakara wal ounthâ ») – (al-Layl/1 et 3)

– « Eh bien ! reprit Abu Ad-Darda’, moi Par Allah, je l’ai entendu ainsi du Prophète (pbAsl)… et les gens d’ici refusent de me croire et veulent ajouter: « et ce qu’il a créé (« wa mâ khalaqadh dhakara wal ounthâ »), mais moi je refuse de les suivre ».

(At-Tirmidhi/Les lectures/2863)

Pourrai-je avoir des éclaircissements par rapport au sens de ce Hadith ?

Par ailleurs, je constate que, dans ce Hadith, lorsqu’il est question de la récitation de Abdallah Ibné Mas’oûd (r.a.) et de Abou Ad-Darda’ (r.a.) du début de la Sourate « Al Layl » (« La nuit » – Sourate 92), seuls le premier et le troisième versets sont mentionnés… Cela signifie-t-il que, par rapport à la lecture de ces deux Compagnons (r.a.), il y aurait un verset « de trop » dans notre façon à nous de réciter le Qour’aane, étant donné que, entre les deux versets évoqués, nous rajoutons « wan nahâri idhâ tadjallâ » – « Par le jour quand il éclaire ! » (Verset 2/ Sourate 92) ?…

Réponse: Ce Hadith fait allusion à la forme bien particulière du troisième verset de la Sourate « La nuit« , telle qu’elle se présentait dans la lecture de Abdoullâh Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou)…

La lecture que nous connaissons de ce passage est la suivante: « wa mâ khalaqadh dhakara wal ounthâ »

Mais dans la lecture de Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), le verset se présente ainsi: « wadh dhakara wal ounthâ ».

Cette lecture de Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), appelée « Qirâte Châddha » (récitation singulière), n’est pas considérée comme relevant du Texte Sacré du Qour’aane.

En effet, il y a unanimité entre les savants et spécialistes musulmans pour ne reconnaître à une « Qirâte »(lecture, récitation) le statut du Qour’aane que sous certaines conditions (trois, pour être précis) et l’une d’entre elles est que la lecture en question doit être rapportée de façon notoire (« bit tawâtour ») du Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam), ou doit au moins être connue au sein des spécialistes de la science de la récitation du Qour’aane avec les différentes variantes (« ‘Ilm oul Qirâte »).
Une lecture ne répondant pas à cette condition n’est donc pas considérée comme étant du Qour’aane, et les règles spécifiques s’appliquant au Livre Sacré ne s’étendent pas à elle (comme la garantie de protection divine, par exemple).

On comprend à partir de là que la lecture de Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) du troisième verset de la Sourate « La nuit » (qui était aussi celle de Aboud Dardâ (radhia Allâhou anhou)) ne fait pas partie du Qour’aane. La forme du verset qui fait partie intégrante du Texte Sacré est donc bien celle que nous lisons tous, en l’occurrence « wa mâ khalaqadh dhakara wal ounthâ »…

Reste à savoir pourquoi cette divergence: A ce sujet, Hâfidh Ibné Hadjar r.a. avance l’hypothèse que la lecture de Abdoullâh Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) et de Aboud Dardâ (radhia Allâhou anhou) correspondait en fait à une lecture précédente qui a été abrogée par la suite et remplacée par le verset dans la forme que nous connaissons. Il indique qu’il est possible que la nouvelle de l’abrogation ne soit pas parvenue aux personnes citées, ce qui fait qu’ils avaient gardé leur lecture précédente. Il présente comme argument pour ce qu’il avance le fait que, malgré la lecture particulière des deux Compagnons (radhia Allâhou anhoum), aussi bien en Syrie (où résidait Abou Dardâ (radhia Allâhou anhou) et où il enseignait le Coran) qu’à Koûfah (lieu où a vécu Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou)), personne, parmi les gens de ces contrées, n’ont adopté cette Qirâte… Ce qui indique, selon Ibné Hadjar r.a., que cette récitation était bel et bien abrogée.

Pour ce qui est de votre seconde question, il est vrai que lorsqu’on lit le Hadith de Tirmidhi, il semble que dans la lecture de Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) et de Aboud Dardâ (radhia Allâhou anhou), le second verset de la Sourate « Al Layl » – « La nuit » soit absent. Mais à vrai dire, quand on considère ce que l’Imâm Tirmidhi r.a. écrit juste après avoir cité ce Hadith, on se rend compte qu’il n’en est rien. En effet, voici la traduction de la courte remarque qui est présente (en arabe) dans le « Sounan Tirmidhi » à cet endroit:

« Telle est la lecture de Abdoullâh Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) (c’est à dire: ) « Wal layli idhâ yaghchâ – wan nahâri idhâ tadjallâ – wadh dhakara wal ounthâ ». « 

Au travers de cette précision apportée par l’Imâm Tirmidhi r.a., on se rend compte que le second verset était bel et bien présent dans la lecture de Ibné Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) et Aboud Dardâ (radhia Allâhou anhou). Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que, dans certains rapports de ce même Hadith, le second verset est explicitement mentionné (voir « Fath oul Bâriy » – Volume 8 / Page 707).

Reste à savoir pourquoi, dans cette présente version, le second verset n’est pas cité… A ce sujet, à mon humble avis, cela pourrait s’expliquer par le fait que le narrateur ne voulait évoquer que la portion où il y avait la divergence (c’est à dire le troisième verset). Cependant, afin que la personne à qui il s’adressait comprenne bien de quel passage du Qour’aane il s’agissait, il a également précisé le premier verset de la sourate au sein duquel celui-ci est situé, à savoir « wal layli idhâ yaghchâ« …

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !

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